[Chronique] Matthieu LORIN, Un corps qu’on dépeuple, par Christophe Stolowicki

[Chronique] Matthieu LORIN, Un corps qu’on dépeuple, par Christophe Stolowicki

août 31, 2024
in Category: chronique, livres reçus, UNE
0 814 11
[Chronique] Matthieu LORIN, Un corps qu’on dépeuple, par Christophe Stolowicki

Matthieu LORIN, Un corps qu’on dépeuple, Exopotamie, coll. « ÉCHOS », hiver 2023-2024, 66 pages, 15 €, ISBN : 978-2-494-31601-0. [Couverture : © Sébastien Montag – Écho & Narcisse, Puisque les forêts feront des déserts #1 (acrylique sur toile, 2022) ; première chronique, de Christophe Esnault]

 

Zeugmes de forte ellipse. Grande politesse de précaution prémonitoire d’écrire Un corps qu’on dépeuple quand, né en 1981, on « court souvent, sans avoir jamais compris après quoi », malgré « des bronches au souffle court ».

Mais il faut encore se « détacher de ce ventre, briser le cocon comme le paysan tire un coup de fusil dans la ruche ». Ce qui n’est pas facile quand on est marié, deux enfants, professeur habitant Chartres, et que « le dard est une révolte. »

On a beau vouloir / ne pas parler de soi-même, / il faut parfois crier, avertit en exergue Blaise Cendrars – « cri en suspens », « fumée d’un incendie déjà maîtrisé », en espérant que « Les équilibres se détruisent par grand gel » ; « égrené chaque souvenir au papier abrasif ».

Ses « mains des extrémités égarées à la recherche aujourd’hui de frontières et de cordées à mesurer », une juste mesure à contre-courant par des temps délétères.

« Un squelette qui crevasse, se gorgeant de crayons creusés dans du mauvais bois. » Quand, pourquoi, comment, dans quelles conditions plutôt assurées que précaires de sa vie modeste retournée par un soc de charrue qui est le charroi des décennies, en zeugmes qui sont des ponts de bois moins lancés qu’arrachés à la langue de bois ou d’abois qui se referme de siècle en siècle – un poète jaillit-il, à première lecture ? Il suffit parfois d’un simple survol feutré.

En allitérations qui prennent la langue à la gorge des siècles tandis que les corbeaux croassent. Ami, entends-tu ?

On ne s’installe pas pour lire Matthieu Lorin. On le happe comme il vous happe.

« Je suis celui qui arrache, la bête traquée qui se souvient du crépuscule ou des saillies à la lueur des verres éventrés ». Quelles saillies de quelle bête des bois veut-il nous faire accroire quand il n’en reste, en creux, que des interjections décruées, décriées, qui grognent ou grondent mais s’écoulent de jaillir ? Quand ce qu’il en reste vaut de manquer cinquante vies plutôt qu’une.

« Mon enfance se percute encore contre les murs du préau et le fond de ma mémoire avec la force du chien débarrassé de son harnais. » Le français a fait au r, détouré de son aire, dérouté de son erre, cinglant de son nerf de veuf et dont une Révolution a déroulé le tapis roulant ronflant, un sort enviable entre les langues de son aire géographique. Matthieu Lorin, relevant renaissant peut-être d’une longue lignée paysanne, en (re)dresse le cours comme d’un gibier de choix.

« C’est à l’adolescence que je démonte l’horizon pour le mettre en poche. Au fond il y avait déjà forêts et souvenirs tranchants comme des dieux. » En livre de poche, promis. Sa poésie remonte jusqu’à Homère sinon Ovide (celui-ci pas à sa portée) par-delà notre ère bâtarde. Il se passe même d’avoir jamais été surréaliste.

« Je ne veux plus être cette simple anfractuosité contre les parois du monde. »

« Rancœurs et frottements, la morale tourne dans le vide comme la chance, un ralenti ou une sauce. / Elle creuse le corps, démonte les viscères. Retirez les os tant qu’on y est pour que la peau me retombe dessus comme un drap. » À même le corps, à branle-corps, à branle-bas l’accord, ce que de son corps il n’a pas su faire non plus que Nietzsche pour détourer la morale. Un aperçu corps à corps de sa généalogie. En peu d’accords. En peu d’âcres ors. Celui qu’il a fallu que l’on dépeuple.

« J’étale des questions jusque-là roulées en boule » alors que j’étouffais la grammaire comme un scrupule, un scandale, / ou le premier cri. » « C’est aujourd’hui encore dans l’angle mort que je renverse la vie. » Quelques confessionnaux en berne. Quelques modestes anecdotes en regard.

Un mot de cette collection Échos, ceux d’une Métamorphose d’Ovide qu’en Exopotamie (mot inventé par Boris Vian), étymologiquement par-delà l’un des fleuves des Enfers, ou du Ciel peut-être, illuminent quelques ovidiennes constellations, comme l’explique Mélanie Cessiecq-Duprat qui a créé la maison d’édition.

En couverture Écho et Narcisse (2022), peinture de Sébastien Montag, Narcisse qu’entre deux traînées lumineuses un vif écho projette en son duplicata féminin songeur.    

 

, , , ,
librCritique

Autres articles

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *