[Chronique] Martine Roffinella, Venise Off, par Guillaume Basquin

[Chronique] Martine Roffinella, Venise Off, par Guillaume Basquin

octobre 5, 2024
in Category: chronique, UNE
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[Chronique] Martine Roffinella, Venise Off, par Guillaume Basquin

Martine Roffinella, Venise Off, La manufacture de livres, en librairie depuis ce jeudi 3 octobre 2024, 144 pages, 12,90 €, ISBN : 978-2-38553-132-4.

 

Voici un court récit où Martine Roffinella, jusqu’au malaise (violence familiale, haine quasi biologique de l’autre sexe) pour un lecteur qui ne partage pas ses idées (ou vues), indéniablement, met sa peau sur la table (prescription célinienne s’il en est, voire bataillienne) : 144 pages narrant sa vie amoureuse, d’échec sentimental en échec sentimental (jusques ici, en tout cas), avec une franchise et une crudité sexuelle qui laissent pantois, souvent admiratif. Voici un livre où l’auteure, très visiblement, a été contrainte (de l’écrire). Impératif bataillien s’il en est.

Le titre, d’abord : il revient comme un leitmotive dans tout le livre, donnant leur titre aux dix chapitres (« Venise Off-1 », « Venise Off-2 », etc.), et vient d’un fantasme de l’auteure d’aller à Venise avec une amoureuse pour immortaliser une parfaite histoire d’amour avec gondole-et-tout-et-tout : « En gros ça commence à l’adolescence cette histoire d’aller à Venise seulement avec le grand amour de ta vie l’unique-le-seul. » Dès la fin du premier chapitre, le ton est donné : l’histoire a foiré, « t’es plus celle qu’elle a aimée », et « elle est plus celle pour qui t’as voulu mourir » : « Venise off. » Plus loin, à la fin du chapitre 5, après dégrisement (l’auteure a arrêté de (trop) boire) : « Qui sait si sobre Venise ça sera encore ton truc. » Quid de nos rêves et fantasmes sans stupéfiants ?

Ensuite, et très vite, ce livre devient une histoire de langue, c’est-à-dire une écriture — sèche et précise, nerveuse, en phrases courtes et percutantes (pas de décoration : au but, direct !), avec une ponctuation simplifiée et raréfiée : « Quand elle apprend que t’es écrivain elle jubile. La soirée devient joie. On cause zique et poézique. On s’exalte le palpitant. » Très souvent, l’auteure intègre à ses phrases nos tics de langage contemporains en franglais : « T’emménageras chez elle but don’t worry baby elle y reçoit jamais de clients » ; ou bien : « T’as la tête dedans et t’étouffes à genoux le sexeopen » ; ou encore : « Finie la big mierda. Ouste la scoumoune et terminato les cagades ». Ce faisant, Marine Roffinella fait œuvre, comme le disait Gilles Deleuze de Kafka, de « littérature mineure » en déterritorialisant sa langue rapport au français classique occupé par l’homme et vu comme une langue étrangère, n’évitant pas les termes que d’aucunes considéreraient comme des insultes : « goudoue », « gouine », etc. Comme certains Noirs états-uniens s’auto-qualifiant de « niggers », l’écrivaine s’auto-attribue les pires insultes, pour mieux les désamorcer. Cela ne va pas sans masochisme : « T’es une lesbienne mauvais genre et en plus boomeuse » ; « Elle te jette à terre puis te file des coups de pied. […] t’es toute bleue de partout. […] D’abord t’acceptes parce que comme d’habitude une sale voix en toi murmure que t’as mérité cette correction » : souvenir d’un traumatisme d’enfance de Martine Roffinella… Assez admirable « courage de soi », dans l’acception foucaldienne du terme.

Et soudain, au chapitre 7, de façon inattendue, un homme surgit dans sa vie, et c’est… Jésus ! « Tu te lances dans une quête spirituelle qui dure dix ans. […] Jésus te tient la main et putain c’est bon. Tu dévales plus. T’es plus seule. T’as quelqu’un avec qui discuter. Peu à peu c’est dingue à dire mais tu sens la foi vibrer en toi. Toc toc toc c’est quelque chose de compact qui tambourine. Oui tu ouvres. » Toutefois, une fois de plus, la liaison tourne court quand l’auteure se rappelle brutalement qu’elle n’est « qu’un tas de viande et qu’une chose est sûre : y a rien après la mort » : les rêves de balades en vaporetto jusqu’au couvent avec « le seul homme de sa vie » s’éloignent : Venise off. In fine, la narratrice du livre semble n’être jamais allée à Venise… de toute façon, « les voyages », elle a « jamais pu blairer ça »…

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Guillaume Basquin

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