En ce dernier dimanche d’octobre, c’est le moment de remettre les pendules à l’heure : LIBR-CRITIQUE.COM se veut dans l’aire du temps, mais non dans cet air de la mode qui fustige l’esprit de critique ou confond critique et promotion tous azimuts…
Libr-livres reçus /FT/
► Elsa BOYER, Laminaire, Zoème, Marseille, octobre 2024, 56 pages, 12 €.
Présentation éditoriale. Laminaire est composé de dix-sept longs poèmes dans lesquels sont tressés vers et fragments de prose. On y rencontre, entre autres choses, un sénateur américain, des contrats de propriété et de location, les dessins de corps féminins et d’organes dans les traités d’anatomie, les vidéos Tiktok d’un président, la vidéo de présentation du robot Optimus de Tesla par Elon Musk, le texte du Schéma national du maintien de l’ordre, ou encore des projets et propositions de loi. Laminaire est le premier livre de poésie d’Elsa Boyer.
Premières impressions LC. Non sans humour – parfois caustique –, l’autrice nous rappelle que nous vivons dans un abyssal palais des glaces, égarés dans un infini miroitement de représentations. Rien d’étonnant, donc, à ce que la plupart des titres de poème nous perdent dans le labyrinthe de la novlangue mainstream ; un exemple : « c’est un poème autour du communiqué de presse du Sénat sur le projet de loi Immigration repris par la commission paritaire, et la proposition de loi visant à protéger la langue française des dérives de l’écriture dite inclusive » (p. 43)… Mais la véritable dénaturation de la langue-française n’est-elle pas due aux pratiques du ministre-de-l’intérieur et des parlementaires qui « mutent en mentaires » ? Nulle pire trahison que celle du corps : « entre les joues se dégrade la langue / réduite à / des fonctions canines »…
► Alain Marc, La Vie du cri – vie et cri, cri et vie, écriture du cri –, réflexions (& entretiens), préface de Jean-Philippe Testefort, éditions Unicités, Saint-Chéron (91), automne 2024, 274 pages, 20 €.
Présentation éditoriale. Il est des livres qui ne se laissent pas aborder tout à fait comme des réalités autosuffisantes, aspirant le lecteur le temps d’un voyage. Entrer dans La Vie du cri de cette manière conduirait en effet à figer, anéantir un geste, un geste aussi vital que l’écriture par laquelle Alain Marc poursuit le cri, de livre en livre, de texte en texte, de fragment en fragment. Dans une répétition du geste presque litanique, se produisent d’infinies différences qui éveillent les chairs à la faille d’où sourd l’expression. Ces écritures témoignent d’une vie de cris, vie qui interroge en retour, et par vagues, l’écriture dans sa prétention à dire le cri, et même à se faire cri. Écriture « du » cri, la poursuite sans cesse reprise et reprisée de l’auteur lui-même, met en tension qui écrit, d’où « ça » écrit et comment « ça » s’écrit.
Premières impressions LC. Au fil des décennies, le poète du cri approfondit ses recherches. S’il se distingue des précédents opus par sa dimension plus intime (« Notes métaphysiques »), ce volume qui réunit textes et entretiens divers revient essentiellement sur une position paradoxale non dénuée d’intérêt : d’une part, il revendique une poétique et une politique du cri, se référant à l’œuvre d’Artaud comme au célèbre tableau de Munch, défendant un expressionnisme qui consiste à manifester « ce qu’il y a de plus tendre dans la sensibilité », « de plus spontané dans l’imagination » (Blanchot), contre le formalisme et l’intellectualisme d’une poésie contemporaine qui tourne le dos à la vie ; d’autre part, celui qui s’arroge un expérimentalisme propre « apprécie pourtant des œuvres comme celles de Christian Prigent, Valère Novarina, Charles Pennequin ou Édith Azam » (p. 190).
► Michel Murat, Les Javelots de l’avant-garde. Poésie en France 1960-1980, Corti, en librairie depuis le 17 octobre 2024, 422 pages, 23,50 €.
Quatrième de couverture. Les javelots de l’avant-garde : des œuvres lancées comme des projectiles pour abattre la poésie, cette maison commune, tandis que d’autres essayaient d’en saper les fondements, d’autres au contraire d’en consolider l’édifice. Beaucoup de ces traits se sont perdus ; certains au contraire se sont fichés en nous profondément. Denis Roche et Jacques Roubaud, les poètes du « Chemin » et ceux de L’Éphémère, puis les tenants de la « modernité négative » – parmi eux quelques femmes brillant d’un éclat singulier – ont dessiné de 1960 à 1980 et au-delà le paysage de la poésie en France ; à tous l’innovation s’imposait comme un mot d’ordre. Leurs intentions et leurs réalisations sont examinées dans ce livre avec une attention libre de nostalgie » (Michel Murat).
Premières impressions LC. Après La Poésie de l’Après-guerre 1945-1960, paru chez le même éditeur en 2022, voici venu le temps d’aborder l’avant-garde, « conçue à la fois comme une mystique du nouveau et comme une guerre dans laquelle les œuvres servent de projectiles offensifs » (p. 7), en trois temps : « I. La Seconde crise de vers » (Denis Roche, Jacques Roubaud) ; « II. Contrefeux » (Deguy, Stéfan, Réda, L’Éphémère) ; « III. L’Ablatif absolu » (essentiellement sur la « modernité négative »). Mais peut-on seulement imaginer un volume d’histoire littéraire à visée généraliste qui prétende réduire l’avant-garde poétique des années 60-80 à « une histoire du vers » (10) ? Exit la théorie, l’automatisme (surréaliste et oulipien), la poésie scénique (une page consacrée à la lecture publique, une demie à la poésie sonore, rien sur la poésie visuelle)… Il s’agit surtout de ne sortir en aucune façon d’une conception restreinte de la poésie. Ce qui est pour le moins paradoxal de la part d’un spécialiste qui s’est toujours montré curieux des expériences hors livre.
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