Françoise Clédat, Le Reflux Lyrique, Tarabuste éditeur, octobre 2024, 126 pages, 14 €, ISBN : 978-2-84587-658-3.
Tel un univers d’élection nocturnant sur ordonnance, la pointe abstraite d’une balle à blanc fait entrer d’une pièce la lecture dans l’anatomie du genre empruntant les chemins balisés de la mesure scientifique, revue et tempérée par les aléas de la narration dans la logique des ablations,
Lire comme, jeûner sous le glas d’un soleil de plomb, âpre & sublimé, du Blanchot balayé d’un soupçon de Beckett repulpé au féminin, serai-je tentée de dire ;
D’Eros en Thanatos s’expose à la gravité, se désinhibe, s’amarre sur le point de tomber, sans fausse pudeur, le fruit mature cérébrant d’une aride célébration sans fioritures détachée presque de la poursuite :
À l’autre – lectures, références & performances architecturant le soi -, à la recherche biotechnologique & au génie génétique, à l’envers de la vie pour mieux se dépasser, se surpassant à sec vif mais consumé, sur le revers comme sur un mot de passe
( Mutations )
Déclinerait & scande en sourdine la palette crépusculaire de « l’inconsolable inconsolation de devoir perdre la vie », déroulant son équation dans l’épreuve d’ « Une réalité augmentée, génératrice d’une catégorie littéraire mutante agrégeant par mutation des formes poétiques non poétiques, (…) » poussant la langue dans différents retranchements comme qui enfonce la pointe d’une lame dans une forme pour voir ce qu’il en sort ;
De station en station, l’archistructure à double détente du récit donne une seconde chance au poème – offre au miracle de s’inviter dans ce qui ressemble aux étapes d’un chemin de croix -,
Quand bien même, « au détour de la question », la fin bouclerait la faim : « en deçà ou au-delà de l’idée de réponse », « [le] fait s’impose, d’autorité », le réel dépèce la fiction ;
Écrire comme, performer en conscience une dette, seul & habité, à la lumière du Poème, les vicissitudes de la souffrance rendant au centuple à l’écriture ses forces vives, libérant « la parole juste » de « la norme langagière », hissant l’auteure au rang des Immortels ;
De la proue scientifique à la quête poétique – « Écrire sans le contenu d’écrire » -, du trauma – « variateur vivant de l’écriture » – à l’écriture « faisant en retour varier [son] développement » – le poème, alternative medicine, cherchant fierce force à comprendre -, il n’y a qu’un pas que Françoise Clédat, orfèvre saturnienne de l’impeccabilité clinique dans la logique du chaos, franchit instinctivement avec cette dignité sans chichis qui sied strictement à la maîtrise ;
Si tant est qu’« écrire c’est maîtriser la situation » (Pierre Guyotat),
Comment penser l’ordre de chaque mot, comme un sursis ou mieux, une rémission de la mort ? Comment sortir du temps de la tumeur si ce n’est en l’écrivant tracter la vitesse de la lumière jusque dans ces anfractuosités de la chair qu’aucun soleil sinon chimique n’atteindra jamais ? Déjouer la peur ? Céder ou non aux marchands d’immortalité ? Consentir à la soumission ? Accepter de vieillir ? Devenir le sage « assigné » contemporain d’un infigurable filet de lune noire, faire don de soi à la recherche, « hors-écrire » de son vivant ?
Sans avoir recours (ces béquilles) aux propres parturientes de ses contemporains & au report à la ligne (ces renvois tels autant d’arcs-boutants) dès lors que le poème cuve ? incube ? incuve ? son mauvais sang et qu’une souterraine inconsolation creuse ? increuse ? menace le souffle organiquement programmé pour durer qui se refuse à renoncer à la gorge animale des extases ? Comme si rabattre le rythme d’équerre en garantissait la garde et blanchissait le flux & le reflux dans un mouvement séculaire tic-&-tac de vagues et de marée ;
« Reflux lyrique » le désir reptilien de vivre, la tension réflexe aveugle du ressort organique ignorant des marées noires de l’âme ; l’intellect suturant le moindre épanchement tout en le prolongeant à sa manière, le poème – amen d’un surcroît d’intensité – relève ici, en dernier recours, d’une transsubstantiation de la prose au « passage du don » :
La prose serait-elle le système pileux du corps de lumière de la fibrillation poétique ?
Du « corsetage [politiquement correct] de l’écrit » s’autocensurant – du torpillage de toute connotation spirituelle, dernière pudeur d’un Occident laïque – au point de mire supra-sensuel du « laisser l’écrit s’écrire », l’écriture prouesse & s’accomplit autour d’une mise à jour « dont le tarissement même/serait [encore beauté] » adossée à la notion chère à l’auteure de « dispositif » ;
En première de couverture, semblable à un haïku, un soleil noir aquarellise un embryon de lumière, puisse la boîte noire du corps de vérité de l’auteure se déployer à jamais par la lecture de mains en mains à hauteur d’une pierre philosophale, la « poésie filant entre [nos] doigts/qui ne la retiennent pas », la foi dans le poème pour ultime transcendance ?