Philippe Jaffeux, Derniers courants, Milagro, mai 2025, 78 pages, 12 €, ISBN : 978-2-487346-05-5.
Parmi les premiers livres de Philippe Jaffeux figurent en priorité Courants blancs (2014) – dont la phrase ou le vers-clef « Toutes les planètes sont rondes parce que l’univers n’a ni commencement ni fin », inoubliable, l’inscrit par excellence comme l’égal de Pascal – et Autres courants (2015) ; récemment Nouveaux courants (2025) reprend souffle. Ce Derniers courants, dont le titre ne ménage plus de reprise, est-il une dernière ligne, aussi courbe que droite, que gauchère ? Mais brisée, qui teste âme en terre ?
« Notre patience est inutile parce que nous sommes toujours attendus par la musique. » Dès le premier apophtegme les jeux d’antinomies se sont faits plus subtils, moins vivaces, peut-être plus essentiels.
« Examiner nos étoiles au microscope pour télescoper l’opposition entre deux infinis » reprend la découverte majeure, mais par la pirouette d’un jeu de mots. Débouchant sur l’enjeu dialectique de toute critique de l’impure raison.
« Faire fi d’une ignorance qui ne nous apprend pas à voir ce que nous ne savons pas » ou « Les lettres sont noires parce que nous rêvons d’écrire pour ouvrir les yeux sur la nuit » introduit la poésie dans un exercice de raison pure en butte à la pesée des nuances en guise de contraires, soulevant en nous une lame de fin fond hérissée de vaguelettes.
La vie se retire-t-elle d’un vain exercice, ne happant plus que des proies d’ombre comme une bolée de néant ? De n’être plus depuis longtemps biblique de la femme, la connaissance appelle-t-elle le papier bible comme une vaine consolation ? Quand soudain, face à « Obéir à l’insolence de notre courtoisie au risque de mépriser ce que nous respectons » ou surtout « Les films reflètent l’intimité d’un exil qui fait écho à un rejet visible du spectacle » on comprend qu’un pas est franchi, ou plutôt s’est émietté, la tournure négative l’emportant sans appel.
Propre à la philosophie est la transmutation des mots en concepts, dont il devient loisible de jouer même si ce qu’ils contiennent de pur raisonnement l’emporte sur tout vécu. Auteur du procédé Socrate, des disciples sur deux millénaires. Jaffeux, qui s’opposait dialectiquement au tour de main ou de clef en y abondant, lâche un peu à présent le drapeau de la révolte. Les médicaments lui tiennent lieu de verte ciguë, le vert paradis des amours enfantines sombre sous l’horizon. Le poète cède le pas à l’antiphilosophe.
Il est toujours aussi subtil, aussi loquace, mais la balance a penché. La redondance a flanché. Les lares dont dense est le fumet n’émettent plus la fumée blanche de l’élection d’un pas de côté.
Jaffeux toujours aussi pousse-au-crime, mais un crime qui rime avec intime blessé.
« Notre savoir prend du recul sur notre avenir où nous avançons pour nous ignorer » signe la dérision de tout avenir.
Quand « L’absurdité d’une pensée peut donner un véritable sens à l’objet d’une chose fictive », le retour sur soi du scorpion ignore désormais le venin des choses.
Arrêtez de penser, mon ami. On nous regarde.