[LIVRES – NEWS] LIBR-VACANCE 1

juin 29, 2025
in Category: Création, livres reçus, News, UNE
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[LIVRES – NEWS] LIBR-VACANCE 1

Voici une nouvelle saison de notre LIBR-VACANCE : à consommer comme une série ? – Pas sûr du tout… tant LIBR-CRITIQUE affectionne l’amer, l’acide même, le granuleux, l’a-normé, l’outre-standard, l’exo-marché…
En cet été 2025, retrouvons tout d’abord les Nouvelles aventures d’Ovaine de Tristan Felix, avant de découvrir une Libr-réflexion de Jean-Claude Pinson et des Libr-événements estivaux… Mais auparavant notre UNE sur le dernier livre de Maurice Mourier, Zazzo, qui vient de paraître mi-juin dernier…

 

UNE : le livre du mois de juin /Fabrice Thumerel/

Maurice MOURIER, Zazzo, PhB éditions, juin 2025, 228 pages, 20 €.

D’emblée, prenons par la peauducul ce volume qui mêle vers et prose afin de mieux appréhender de quoi il s’agit, le positionnement de l’auteur en fait. C’est ainsi que, dans le dernier chapitre – le trente-quatrième, intitulé « Boire un conte ou le conduire » –, nous découvrons cette présentation auctoriale : « Les « Zazzo » se sont écrits, autant que faire se peut, en partant du choc des mots entre eux, (…) en en dévissant les plus prometteurs dans l’idée de leur conférer une nouvelle fécondité poétique en les raboutant autrement par bricolage. » Cet objet poétique en 3 D (« documentation (exhaustive) ; domination (du matériau verbal) ; dévotion (envers la vérité) ») se revendique en partie de Breton et de Roussel en vue de « conduire des contes de rien selon la méthode de l’Ornithologie Comparée la plus up to date »…

Plus généralement, Maurice Mourier se situe entre deux extrêmes : les Ego-écrivains, qui perçoivent de haut les êtres et les choses, et les conteurs nombrilistes qui sont plus hantés par leur histoire qu’ils ne sont proprement écrivains. Après avoir fustigé les « classiques » de chaque état du champ littéraire, il pose en modèle Henri Michaux, qui donne forme à son impétueux « espace du dedans » par et dans une langue explosive et métamorphique. C’est que Michaux est pour lui l’envers de Prigent, en qui il ne voit qu’un formaliste illisible ; d’où un féroce portrait dans le chapitre 28, « La Clepsydre de Normandie », sur lequel on préfère ne pas s’attarder ici.

Mais alors, me direz-vous, indépendamment des considérations théoriques, qu’en est-il de ce texte qui ressortit à la poésie comme au conte ? Drôle et inventif, le narrateur excentrique se fait éthologue pour passer du monde des oiseaux à celui des humoins : « Même s’il existe, jamais l’oiseau n’a lancé à personne le mauvais œil. Seuls les hommes, dans les plis et les surplis de leurs âmes perverses, en sont capables » (p. 169). Plus fondamentalement, il va jusqu’à poser cette question : « Combien faut-il de générations pour qu’une sous-espèce suffisamment isolée d’Homo sapiens finisse par présenter une mutation mentale lui permettant de résister efficacement aux prédateurs issus de sa propre espèce ? » (101)… Cela dit, il excelle également dans l’art de la satire, s’insurgeant contre les « esprits frappeurs de poitrines, les prosternicoles, les lamantins de la vallée de larmes, les saltimbanques du zéro, zozos avides d’enzozoter le pauvre monde, assez stupide toutefois pour les accueillir » (41)… Aucune espèce de drôles d’oiseaux n’est épargnée !

 

Nouvelles aventures d’Ovaine /Tristan Felix/

Poursuivie par le doute, Ovaine se glisse dans une bouteille et se jette à la mer.

Tant de questions la débordent qu’elle se bâillonne jusqu’au goulot et finit par toucher le fond.

Baleines fluo, crevettes à bosse, noyés mantelés, épaves volantes, plastiques pèlerins… bref, tout le monde se presse à sa conférence.

Pour éviter que la buée ne déforme ses mots elle parle tout en silences.

Alors, explosions, ultrasons, sirènes, craquements et soupirs lui répondent à l’infini…

Ovaine peu à peu remonte à la surface, avec la preuve que la mer est une bouteille qui ne cesse de couler.

*

Le saut à l’élastique tente Ovaine derechef.

Son dernier baptême de l’air, hélas, échoua (elle s’était prise la main dans le sac et les élastocs, effrayés, avaient sauté tout seuls dans le vide avec leur vomi).

Déterminée, elle ramasse mine de rien le caoutchouc bohémien du 16 avril et le noue à sa cheville. Il a l’air OK.

Elle bondit, saute de toute sa hauteur, croise un nuage en perte de vitesse et même un aigle qui bat de l’aile dans l’angle mort de son vertige.

Elle les attrape tous deux au vol et l’élastique, plus luisant qu’une étoile filante, remonte ce petit monde au point de non-retour.

Il était grand temps que l’estomac reprenne du poil de la tête.

 

Libr-réflexion : un parallèle inattendu /Jean-Claude PINSON/

« Montre-moi [Scapin] comment reconsidérer l’affaire du maître et du valet » (Marianne ALPHANT, L’Atelier des poussières, P.O.L, 2025).

Rapprochement incongru ? Apparemment, Sophia, le gros ouvrage de Kojève, un traité de pure philosophie, et le livre de Marianne Alphant, livre dont le phrasé tient bien plus de l’écriture poétique que du raisonnement en bonne et due forme, n’ont guère de rapport.

Pourtant, c’est un même objet qui en constitue le noyau, à savoir la fameuse dialectique hégélienne du maître et de l’esclave. Marianne Alphant la résume ainsi : « Le maître qui n’a pas peur de la mort prouve en la risquant qu’il n’est pas attaché à la vie et devient par cette opération un pur être-pour-soi. Quelqu’un le lui confirme, son rival apeuré, maintenu en vie mais à son service, là, tout en bas, courbé, soumis. »
Fidèle à Hegel, ou plutôt à ce qu’il considère comme son héritage marxiste, Kojève, adopte le point de vue du maître, à savoir celui du prolétariat ayant, par la révolution, triomphé de la servitude (on appelait cela naguère « la dictature du prolétariat »). Son livre, Sophia, est explicitement une « justification « de Staline, une « stalino-dicée ».

Marianne Alphant, elle, renverse les rôles et prend le parti du valet, celui du Jacques du livre célèbre de Diderot, un « valet philosophe » que son maître secoue en vain.
Les valets et servantes sont ceux qui « s’occupent de la poussière et de faire les lits », tandis que les philosophes, que ce soit Descartes, Kant ou Hegel, vaquent librement à l’élaboration de leurs systèmes ou à la composition de leurs œuvres (il est aussi question de Proust et de Céleste). `
À chacun son savoir absolu : pour le philosophe celui des idées et concepts (le « Savoir parfait », écrit Kojève) ; pour le domestique, l’ensemble de ces savoirs pratiques qui font de lui un factotum (celui, littéralement, qui fait tout).
Le philosophe (le philosophe hégélien) dira que la « poussière », c’est sans importance, inessentiel, tout à fait contingent. Or c’est bien là que le bât blesse : laisser de côté le plus contingent, ce qui fait le plus prosaïque de la vie prosaïque, n’est-ce pas d’emblée manquer l’objectif du savoir absolu ? Bien sûr, on trouve chez Hegel toute une théorie de la contingence. Il n’empêche que le système butte sur le sens et la place qu’il convient d’accorder à ce qui du réel résiste à l’emprise du concept. Tel est, selon les meilleurs spécialistes du philosophe, le talon d’Achille de la pensée hégélienne, sa zone d’impensé. Et cet impensé qui résiste aux constructions conceptuelles, mais auquel ont très prosaïquement affaire les domestiques, il est bien présent dans la vie des philosophes. « Strabisme de l’un, dos voûté de l’autre. Infirmités, tuberculose, insomnies, histoires de vessies, bégaiement, calculs biliaires, phobies de l’eau ou des femmes. »

« Sortir de l’idéalisme, prendre en compte la poudre Legros et la sciure de bois phéniquée, le manteau troué par un poignard, les chaussures de marche, le sandragon en larmes. »
D’une certaine façon, le geste littéraire de Marianne Alphant est marxien, il s’agit de remettre la philosophie sur ses pieds, comme Marx voulait remettre la dialectique de Hegel sur ses pieds.
Du maître au valet, le fossé d’ailleurs n’est sans doute pas aussi large qu’il y paraît : « les idées, la poussière, on voit bien le rapport. Quelque chose d’infini, d’incessant. D’absorbant aussi, d’obsédant, on y succombe. »
Et puis Hegel n’a-t-il pas lui-même été valet, quand il fut précepteur ? « Pauvre Hegel, dans sa jaquette de seconde main, lustrée aux coudes et trop étroite, il ne mérite pas d’être perçu comme un hibou quand il travaillait la nuit, un veau s’il se reposait, un zèbre tant il était bizarre. »
Pour autant, Marianne Alphant n’emprunte pas la voie du récit de vie. Elle procède davantage par esquisses, saisissant des traits biographiques qui donnent toute leur saveur à un propos subtilement subversif.
Subversif est aussi son phrasé, aux antipodes des modes les plus habituels de l’écriture philosophique. « Cut »est le mot d’ordre d’une prosodie toute en ellipses, où abondent les phrases nominales (listes et autres enchaînements métonymiques). Une écriture nourrie d’une pensée philosophique mieux qu’infuse, mais toujours sans lourdeur, portée qu’elle est par un élan jubilatoire qui n’est pas sans rappeler les pratiques les plus stimulantes de la poésie contemporaine.

 

Libr-événements

► Lundi 30 juin, Théâtre des Marronniers (Lyon 2e – 69), à partir de 14h30 (jusque vers 21h30) : l’édition du poème#12 (périphérie du Marché de la poésie)

Deux tables rondes et des lectures : Camille Bloomfield, Yves Boudier, Philippe Bouvier (éd. Le Clos Jouve), Martin Rueff et Laura Tirandaz (éd. Æncrages & co) / températrice : Marie Frisson

Lectures : Samantha Barendson, Sereine Berlottier, Bernard Chambaz, Romain Frezzato, Benjamin Guérin, Marie Huot, Aurélia Lassaque et Patrick Laupin, / températeur : Thierry Renard

 

► Du 18 au 26 juillet à Sète : festival de poésie VOIX VIVES = télécharger le programme

 

► Du 01/08/2025 au 03/08/2025 : Librairie Au Poivre d’âne et place Evariste Gras – La Ciotat (13), “Festival d’écritures contemporaines”. En présence d’une vingtaine de poètes et poétesses-performeurs·euses.

Trois lectures par jour sont organisées (chaque auteur lit deux fois), à 11h devant la librairie Le Poivre d’âne, et à 15h30 et 18h sur la place Evariste Gras.

En partenariat avec le CIPM, La Marelle et la librairie Au poivre d’âne, à la Ciotat.

Le festival est gratuit et les auditeurs assistent aux lectures en plein air.

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Fabrice Thumerel

Critique et chercheur international spécialisé dans le contemporain (littérature et sciences humaines).

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