[Chronique] Isabel Natacha Weiss, Intérieur rouge à la fenêtre, par Pascal Boulanger

[Chronique] Isabel Natacha Weiss, Intérieur rouge à la fenêtre, par Pascal Boulanger

juillet 5, 2025
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[Chronique] Isabel Natacha Weiss, Intérieur rouge à la fenêtre, par Pascal Boulanger

Isabel Natacha Weiss, Intérieur rouge à la fenêtre, éditions Milot, coll. « Poésie », février 2025, 79 pages, 16 €, ISBN : 978-2-38617-016-4.

 

Dans ces cinq séquences de prose poétique, Isabel Natacha Weiss a choisi l’hétérogénéité, à l’image de nos vies grouillantes et paradoxales, à la fois précaires et souveraines. Mais c’est bien le Réel, avec sa foule de détails baroques, qui fait unité. Chaque ligne d’écriture, qu’elle soit nocturne ou diurne, procède par association et écart, elle capture les apparences, s’attache au concret, aux mouvements des éléments et de l’Esprit ; elles ne reproduisent pas les choses, elles font trou dans leur opacité. Pour éviter le bavardage d’une parole parlée qui ne parle jamais au-delà d’elle-même, la fluidité et la sagacité des énoncés poétiques saisissent l’espace-temps dans lequel nous nous débattons.

Isabel Natacha Weiss est philosophe mais elle n’illustre pas des concepts dans cet Intérieur rouge à la fenêtre. Elle est trop sensible et attachée à l’existence et à la palette des traversées et des passages, trop attentive à l’appel du concret et à l’assaut du vivant et du toucher pour se compromettre avec un système ou un monde clôturé. Ses textes, comme la peinture et précisément celle de Matisse, parlent à l’oreille, dans une profondeur décentrée. Ces profondeurs qui ne négligent aucune périphérie, ce sont les couleurs qui les reflètent. Qu’importe alors que l’objet soit et qu’on écrive à partir de lui, par les couleurs, c’est le mouvement de l’infini dans le fini que l’on saisit. On entend par conséquent du blanc, du pourpre, le liquide noir du matin, l’écume noirâtre de goudron, la voie bleue marine de l’autoroute, le sac poubelle blanc avec les anses rouges, le taffetas violet des grands soirs, des petits bonshommes maigres vêtus de tissu bleu pâle, un liseré rougeâtre… Autant de couleurs, autant de lumière qui établissent un rapport d’analogie avec les référents concrets, qui les font vivre et même ressusciter, comme a pu le souligner Matisse à propos de la couleur rouge : ce rouge est une nuit chaude à l’intérieur de laquelle, venant de la fenêtre, une intense lumière fait naître ou plutôt ressusciter les autres objets.

La douleur n’est pas salutaire, les couleurs le sont. Ce monde, malgré son équilibre fragile, a encore les couleurs de l’enfance des choses retrouvées à volonté, à travers par exemple : un geste, un toucher, une confrontation, un contact, la terre – le pays de la vie et de la cité, des êtres qui l’habitent. Rencontrer le simple et le modeste. Cette rencontre consiste à mettre de l’ordre entre les couleurs et les mots, autrement dit, mettre de l’ordre dans ses pensées.

Dans le singulier concret : Le monde que je désire est le monde que je vois, les choses et les êtres sont un vaste théâtre, il faut répondre à leur injonction et leur souhaiter une gravitation. Car il n’y a pas de « je » dans cette poésie, encore moins de fixation, il y a un « tu » ontologique : Toi dans la vie, tout ce qui te fait un et vie, qui refuse la rétention de l’être-en-soi et qui accepte que ce monde ne soit que ce monde – hic et nunc – dans son absolu présent. C’est le réel, dans son souffle chaud et froid, qui est le motif : littéralement : il se met en mouvement, il est mobile. Avec, de surcroit, le fond sensuel des choses qu’Isabel Natacha Weiss sait merveilleusement entendre et écrire.

(…)

Le drap blanc épais,

Le drap qui rafraichit les jambes,

La fenêtre entrouverte,

Pour laisser venir la mer,

Et même dans la nuit,

Et même dans le rêve,

La mer revient.

(…)

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