[Texte] Christophe Esnault, Les poètes de combat

Moi aussi je fais carrière sur votre terrain ; je suis ambianceur. J’observe les Poètes de Complaisance depuis trente ans. J’ai des réserves sur la Métaphore d’État systématique posée en continuum politique, j’ai trouvé une place, moins attendue, loin des institutions de la parole docile. La sublimation du vide doit être réinventée. Sur un registre prosaïque et pragmatique, vous passez la moitié de votre temps à remplir des dossiers pour vos résidences d’auteur et pour bénéficier de soutiens pécuniaires divers, l’autre devant votre perche à selfie. Je ne souhaite pas comme vous tout miser sur l’algorithme ou la seule culture de l’Ordre établi. Je suis un homme de terrain, avec vingt-trois années d’expérience dans les files du parc Astérix (j’y suis toujours). Si je puis me permettre, je suis moins hors sol que vous. Ça me rend orgueilleux, et comme me le dit mon ami Sylvain Tesson, je suis un stack, livré au vent et à l’érosion, j’incarne la fragilité, et la possibilité d’un effondrement immédiat. Cette carrière que j’évoque n’est qu’une boutade, car mon métier d’ambianceur, contrairement au vôtre, ne me permet pas de briller sans Wikipédia ni sans un écosystème numérique qui, lui, vous construit de toutes pièces. Mon modeste rôle : savoir improviser un flux hypnotique rieur. Faire naître et provoquer un « Je n’ai pas vu le temps passer à écouter ce gars ». Une parole capable de pulvériser l’attente et la pénibilité de l’immobilité des heures pour seule manière d’habiter le monde. Dans mon chant d’oiseau salarié, jamais deux mots déjà vus l’un à côté d’un autre, j’ai cette exigence-là. Je ne réclame pas attention et écoute en espace bourgeois, j’interagis constamment avec mon public qui se mue créateur, c’est lui le poète. Je ne jongle pas avec une parodie de sens ou d’engagement (L’éco-poésie, la performance ou autre bullshitisme). Je suis fidèle à mon employeur qui en vaut bien un autre. Je rends visible la subtilité chez une population stigmatisée en beaufs et en incultes, et qui souvent en savent plus que vous sur la Bataille de Waterloo dans Les Misérables d’Hugo que vous avez lâché avant la fin pour vous concentrer exclusivement sur l’art ballonnant du despotisme culturel et sur la seule subvention qui vient.

N. O.

Extrait de Pistolet à bouchon sur la tempe (écriture en cours).