Ode à « Agua de vinagre »
(Agua de vinagre, film en 16 mm couleur de Frédérique MENANT, 39’, 2022)
« Le cinéma ? Je n’y vois que des atomes. »
Paul Valéry
un film pas/plus comme les autres :
entièrement tourné et produit en argentique 16 mm
& fabriqué à la main à l’Abominable — un collectif d’artistes
labo minable ou abominables sels d’argent ?
un diptyque entre deux îles de chaque côté de l’Atlantique
une désertique : le Cap Vert
une tropicale : la Guadeloupe
à 20 ans d’écart
une tentative impossible de réparer un deuil, celui de Gilles
premier amour
Il m’aurait fallu d’autres amours, peut-être.
Mais l’amour, ça ne se commande pas.
un ciné-voyage pour un ciné-deuil : « l’attente impossible qu’apparaisse un absent »
au théâtre, les morts se relèvent toujours — pas au cinéma
un portrait de Gilles au banc-titre suivi d’un lent fondu au noir argentique
noir total
un art venu du noir, de la nuit & pas du blanc-gris comme l’image numérique
l’armée des ombres
l’océan Atlantique, du côté de Basse-Terre (là où les terres sont hautes)
indompté
on dirait la Guyane, sa faune sauvage : ici un crabe — là-bas des tortues de mer
*
& puis des mains
travail agricole — le propre de l’homme, c’est de penser avec ses mains
on s’ra bien ici, enterré sous ce manguier !
la résistible ascension de l’empoisonnement au chlordécone
comment faire revenir les morts, si ce n’est en leur parlant sans cesse ?
les catacombes de Pointe-à-Pitre !
*
un carnaval
en Guadeloupe
ou est-ce au Mexique ?
des masques pour conjurer la mort
ni un documentaire, ni un film expérimental : de la poésie pure…
Winterreise sur la bande-son :
Mon cœur est comme éteint,
Et dedans, sa froide image est figée ;
Que mon cœur à nouveau se réchauffe,
Alors aussi l’image s’animera !
ô mort du cinématographe, où est ta victoire ?
P.-S. : on trouvera sur ce lien le Manifeste du Navire Argo pour une continuation de la production et de la projection argentique des films
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Une très belle ode, en tremblé, suggestive et non critique, qui tente par les mots de traverser les photogrammes argentiques de ce court-métrage que je n’ai pu voir, hélas, absorbée ailleurs par l’étrange « théâtre de la réminiscence », autre travail sur la mémoire et le deuil du souvenir.