Amélie NOTHOMB, Tant mieux, par CHRISTOPHE STOLOWICKI

Amélie NOTHOMB, Tant mieux, par CHRISTOPHE STOLOWICKI

septembre 13, 2025
in Category: chronique, UNE
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Amélie NOTHOMB, Tant mieux, par CHRISTOPHE STOLOWICKI

Amélie Nothomb, Tant mieux, Albin Michel, août 2025, 216 pages, 19,90 €, ISBN : 978-2-226-50494-4.

Tant mieux, le superlatif de tant pis, ou le stoïcisme rétréci en isthme d’une enfant de quatre ans déposée pour les deux mois d’été chez une atroce « bonne maman » qui lui fait ravaler son vomi.

« Les yeux disaient le tant mieux de l’amour, l’amour sans causalité, je t’aime, j’ai horreur de tes actes [assassiner des chats], je ne te changerai pas, tu ne changeras pas, je t’aime, ni donc, ni alors, ni par conséquent, ni malgré, ni rien. Tant mieux. »

D’une simplicité extrême, du grand art pour tous publics, aux phrases aussi brèves qu’elle nous l’inspire, aux raccourcis saisissants, de plain-pied avec une enfance dont la charge ne se dément pas. À lire lentement, à déguster comme un grand cru.

Ou le roman de sa mère, saisi au plus poignant par une autrice qui sait remonter jusqu’à la quatrième génération sans un mot de galimatias freudo-lacanien.

Amélie Nothomb dans l’entre-deux aïeules, la bonne et l’exécrable. Entre la « belle madame » et le « beau monsieur » de ses grands-parents maternels qui y font allusion avec des clins d’œil à leur fille, ce qui ne les empêche pas de se déchirer, ni à la grand-mère d’être battue.

Comment une enfant comprend les mots des adultes qui ne lui sont pas destinés. « – Ce n’est pas n’importe quelle poupée. C’est une poupée lucide, déclara-t-elle. / Elle ne connaissait pas le sens de ce beau mot qu’avait prononcé la grand-mère et se hâtait de l’employer avant la disparition de sa magie. »

Ce qui pourrait déranger certains est la préférence aristocratique. On se vouvoie en famille. Le tutoiement retrouve son sens traditionnel, de jaillir aux moments où la passion s’exprime. Il est normal d’« avoir de la domesticité ». Les nobles ont en général meilleure tournure, qu’ils soient polonais ou wallons. Cela se marie fort bien avec un sens analytique que Freud n’eût pas renié – les surréalistes historiques à tour de bras. Performance adaptée aux temps nouveaux d’être aussi peu poète. La langue n’est pas dondaine mais un instrument de précision.

S’ensuit mon seul reproche, qui s’applique à toute l’œuvre d’Amélie Nothomb : de ne s’adresser qu’aux femmes, aux filles, aux hommes très accessoirement, de rares beaux ou bons messieurs. Mais comment pourrait-elle franchir la barrière qui toujours davantage sépare les sexes, lesquels sans l’amour mourraient chacun de son côté, comment aurait-elle accès à la maison d’en face, celui que seul ménage la poésie, ou sa mémoire ?

Faire ravaler du vomi de hareng au vinaigre, accompagné de café au lait, pour seul repas : il ne s’agit évidemment pas d’un récit rapporté mais de l’essence du romanesque, saisie d’un rebond de plume à l’encre de seiche, là où les romanciers naïfs, abondant dans l’autofiction, se contentent de substituer à l ’impossible mémoire des années où l’empreinte tient lieu de souvenirs – leur fantaisie créatrice ou complaisante.

 

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