[Chronique] Guillaume Basquin, L’édition grippée

mars 18, 2020
in Category: chronique, UNE
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[Chronique] Guillaume Basquin, L’édition grippée

On a entendu à gauche et à droite que la présente époque de confinement des citoyens chez eux serait favorable à la lecture et à la publication de nouveaux livres, puisqu’il n’y a presque plus d’autre loisir. Pour la lecture, c’est à peu près certain ; mais quelles seront-elles ? On achète sur Internet essentiellement des livres de noms déjà faits : Stendhal, Pasolini, Badiou, etc. ; Haroldo de Campos, pour les plus aventureux ; La Peste de Camus, pour ceux qui aiment à se faire peur (et comparer à la Peste noire, sans aucune pudeur morale ni intellectuelle, ce qui ne se peut raisonnablement comparer qu’aux grippes « asiatiques » de 1957 et 1968…). La vente en ligne de littérature de recherche ? On a déjà testé : ce sont une dizaine d’exemplaires qui partent, au mieux… De plus, très peu de bureaux de Poste sont encore ouverts, idem pour les Carrés entreprise de l’ancienne entreprise glorieuse du Service public ; les Carrefour Markets et autres Mark’s and Spencer ayant été considérés comme plus essentiels à la survie de la Nation que les envois postaux !… Cela devient très compliqué, par exemple, d’envoyer des revues ou des exemplaires de presse de livres à tarif non rédhibitoire. De plus, les rédactions des journaux et revues littéraires sur papier sont fermées : les envois de presse depuis la semaine dernière ne vont pas circuler du tout ; et pire : s’accumuler sur et sous les bureaux des dites rédactions…

Enfin, si on tend un peu l’oreille, outre que toutes les librairies physiques de France sont fermées pour quelques semaines, sacrifiant ainsi à peu près tous les offices de mars, on apprend que la plupart des gros et très gros éditeurs ont repoussé leurs sorties de mars et avril à mai, au plus tôt ; ce qui créera un immense embouteillage de sorties à cette époque. Maintenir les programmes de mai pour l’édition de recherche et de poésie, qui se surajouterait à ce déferlement de poids lourds me semble très risqué. Ajoutons à cela que le dépôt légal des livres et des revues est suspendu en France jusqu’à nouvel avis, ce qui est peut-être même inédit dans notre pays… Dilicom, Électre et Prisme sont fermés. En clair, on ne délivre même plus de nouveaux codes ISBN ou ISSN : une revue littéraire ne peut pas se créer en ce moment en France, pour une durée indéterminée ! Outre le nouveau contrôle biopolitique des corps au niveau mondial (sauf en Angleterre ?…), qu’on peut quand même discuter, vient de s’y surajouter carrément un gel des créations de l’esprit (sauf à tomber dans l’hyper-marginalité). Évidemment, on espère tous que ceci devrait ne pas durer trop longtemps… Trois semaines ? Deux ? Mais si c’est quatre ? Ou cinq ? Comment envoyer à l’imprimerie pour la prépresse un livre fin mars, en période de fermeture totale du dépôt légal ? Cela nous semble beaucoup trop risqué, et Tinbad a choisi de reporter son programme de mai à octobre, après la vague des inévitables premiers romans qui commence 3e quinzaine d’août, désormais. Il nous semblerait vraiment plus raisonnable de décaler toute la production culturelle (tant pis : XX mois auront été perdus, mais pour essayer de repartir sur un rythme normal), plutôt que de suicider YY soldats-des-lettres (mais c’est la même chose pour le cinéma, et pour le théâtre… où on annonce déjà une probable annulation du Festival de Cannes…) sur un front saturé et casse-gueule d’avance.

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