fragment théorique 1 : les objectivistes ont fait parler la différence, l'altérité du langage, en reprenant tel quel des textes qui ne provenaient pas de leur subjectivité. Ils faisaient ainsi lire ce qui était écrit par ailleurs, lire à travers la composition et l'implémentation qui étaient la leur. Ils reprenaient ce qui était véhiculé par les technologies de leur époque (mode d'enregistrement par exemple à Nuremberg). Ouvrir la possibilité d'écriture commune, de cette poétique de la différence à partir de nos technologies actuelles : téléphone portable, web, … . Words City est une oeuvre poétique objectiviste en ce sens où elle est une écriture qui se compose des écritures données telles quelles par ceux qui y participent. Le montage est celui de l'écriture algorithmique de l'oeuvre.
fragment théorique 2 : La communauté, la mise en commun d’un dire au coeur de l’oeuvre qui se réalise selon l’immanence du don : est-elle finie ? Pour quelle raison, Blanchot pose-t-il qu’elle soit finie, nombreuse ou restreinte ? Ne pourrait-on pas penser que celle-ci, dans sa difficulté même de s’avouer, serait infiniment ouverte à l’autre, en tant qu’essentiel pour que l’oeuvre soit ? C’est bien là le dessein, il me semble, de WORDS CITY : oeuvre qui n’est pas sans la contribution, oeuvre qui ne serait plus, en tant qu’elle n’est que dans son mouvement de création immanente, sans que sans relâche, un autre, quel qu’il soit, puisse donner son dire vers elle, vers tous les autres qui ont participé (et de là participent toujours encore selon la dynamique propre de l’oeuvre). Si elle se pose dans l’horizon d’une esthétique relationnelle, WORDS CITY s’ouvre cependant comme le lieu de rencontres des altérités : elle est par elle-même toujours incomplète.
L’absence de communauté n’est pas l’échec de la communauté : elle lui appartient comme à son moment extrême, ou comme l’épreuve qui l’expose à sa disparition nécessaire (Blanchot)
fragment théorique 3 :La communauté, et ceci traditionnellement, y compris dans son absence est toujours pensée comme groupe, et ici la distinction de Blanchot entre d’une part les moines, le kibboutz ou encore le communisme, et d’autre part le groupe acéphale, ne dépasse pas cette remarque. Or : qu’est-ce qui fait qu’il y ait ville, territoire partagé, si ce n’est phénoménologiquement : tout à la fois le retrait de la visibilité de communauté (qui peut être notée comme indifférence/absence à l’autre) et d’autre part le perpétuel à venir de celle-ci selon des conditions pragmatiques potentielles (le danger, la catastrophe : il n’y a qu’à voir comment un tremblement de terre, un tsunami, la violence reposent la question du commun, du partage, de l’échange. Et ici c’est Freud qu’il faudrait aller lire, dans L’avenir d’une illusion, qui me paraît poser avec justesse en quel sens le secret, inavoué de la communauté et la reconnaissance là où il y a danger de notre appartenance à la même espèce : l’homme). La ville derrière le visible archipellisé de sa réalité quotidienne, a toujours comme moment extrême la communauté qui vient. Cette communauté est inavouable, car elle est profondément essentielle à son être, et tout à la fois nécessairement effacée pour que l’individu se subjectivise. Words city propose d’expérimenter autrement cette co-appartenance des hommes entre eux : non pas sous le signe de la catastrophe, mais sous le signe de la construction. Réunir dans un seul mouvement des hommes qui ne se connaissent pas, qui peuvent même être dans un litige ou différend, les réunir dans l’immanence de l’oeuvre qui se fait, l’immanence de cette ville digitale qui se crée. WORDS CITY est le lieu d’une coappartenance des hommes, le lieu d’un habiter ensemble par ce qui fait que l’homme est homme : le langage.
Que des singularités constituent une communauté sans revendiquer une identité, que des hommes co-appartiennent sans une condition d’appartenance représentable (même dans la forme d’un simple présupposé) constitue ce que l’État ne peut en aucun cas tolérer. (Agamben) Agamben lorsqu’il pose ce fondement de la communauté qui vient, réfléchit en-deçà de la notion de communauté telle qu’elle est posée par Blanchot, en-deçà de toute forme de contractualisation, en-deçà de la question juridico-politique. Plus loin, il insiste sur le fait que cette communauté ne se donne pas dans l’identité, dans la catégorie, mais dans la possibilité de se constituer dans et comme être-de-langage.
WORDS CITY me paraît questionner en ce sens la ville. Ce qui se tisse n’est pas de l’ordre juridico-politique, n’est pas de l’ordre d’un contrat (et il faudrait d’ailleurs réfléchir à la notion littéraire de contrat de lecture entre celui qui écrit et celui qui lit). N’est pas un pacte : mais tout autrement l’impulsion intentionnelle de mettre en commun, poétiquement, un mot ou une expression avec des autres qui ne sont pas révélés, qui ne sont pas associés au sens du contrat, mais qui ne sont reconnus que dans leur réalité d’être du langage. Cette mise en commun indique une co-appartenance au même, en tant qu’être de langage, et de quelle manière cette donation de soi, les mots, appellent la création d’un site singulier qui est celui de l’oeuvre elle-même. S’ouvre dès lors une toute autre question philosophique quant à la transcendantalité de la communauté. Celle-ci ne peut être réduite aux conditions par exemple exposées par Rousseau dans Du contrat social : reposant sur la voix du devoir et la morale comme pierre de touche de la communauté (ce que l’on retrouvera de même chez ses adversaires comme Hobbes, ou encore comme nécessité de la loi chez Freud). Ce qui animerait la décision de la communauté, celle-ci reposant sur l’invisibilité même de sa propre factualité, serait d’abord et avant tout la reconnaissance d’une altérité (autrui) qui serait être de langage comme moi. Et dès lors la piste Heideggerienne ouvrirait davantage le champ : au sens où la co-existentialité des Dasein (réalités humaines) se fonde sur une disposition première ontologiquement : la parle (die Sprache).