[Texte - chronique] Jean-Nicolas Clamanges, Fukushima sur le Chemin du fond (sur Bashô)

[Texte – chronique] Jean-Nicolas Clamanges, Fukushima sur le Chemin du fond (sur Bashô)

avril 3, 2013
in Category: chroniques, UNE
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On appréciera la façon dont Jean-Nicolas Clamanges rattache l’actuel à l’intemporel dans un texte qui relève de la réécriture éclairante

À propos de BASHÔ : OKU NO HOSO-MICHI, L’ÉTROIT CHEMIN DU FOND.Texte bilingue. Introduction, traduction, notes et commentaires par Alain Walter. William Blake & Co. Édit., 2007, 30 euros.

 

 Oku no Hoso-Michi,

L’étroit chemin du fond :

c’est le journal du dernier long voyage de Bashô.

 

Cinq mois durant, du printemps à l’été

de l’an seize cent quatre-vingt neuf,

 

il parcourt à pied le nord-est du Japon

en compagnie de son ami-disciple

le dessinateur et poète Sora,

 

puis tout seul :

 

Choses griffonnées

Sur l’éventail qu’on déchire et se partage

Quel souvenir d’adieu !

 

Il visite les « souvenirs de mille ans » de ses classiques,

en dialogue avec la grande tradition chinoise :

 

Le pin de Takekuma

Montrez-le, parlez-en

Cerisiers tardifs.

 

Il s’obstine contre vents et tempêtes,

froid violent,

chaleur intenable,

et chemins improbables :

 

Où donc

L’Ile-du-Chemin-de Bambou ?

Chemin bourbeux de la cinquième lune …

 

Il chemine et chemine

malgré fatigue chronique et maux de toutes sortes :

 

Puces et poux,

Le cheval pisse

À mon chevet…

 

avec ce vieux corps qui ne suit plus très bien

ce que veut l’esprit :

 

Je vais et vais,

Même si je dois tomber étendu

Dans la plaine aux lespédèzes.

 

Il rencontre artistes et poètes,

inscrit des vers sur les éventails,

les piliers de demeures amies,

le poteau d’un ermitage,

les arbres :

 

Ma cabane d’herbe,

D’autres y ont emménagé !

Maison de poupées.

 

Il dort n’importe où selon la fortune,

les rencontres,

les amitiés,

les disciples

et puis, quelquefois :

 

Dans la même maison

Dormaient aussi des filles de joie

Lespédèze et lune …



Et partout l’émerveillement,

l’émotion,

l’intuition de la Terre pure

dans le simple apparaître des choses et des êtres :

 

Les gens de ce monde

À tes fleurs n’attachent pas leurs regards :

Chataignier de l’auvent.

 

Après avoir franchi la barrière de Shirakawa,

autrement dit La rivière blanche,

qui, dans la poésie ancienne du Japon,

est à peu près l’équivalent de notre Pont Mirabeau ;

 

puis traversé la rivière Ahukuma,

et passé cinq jours chez un certain Tôkyû

au relais de Sukagawa,

 

à écrire un rouleau complet

pour tenter de dire ce que ce fut

de passer la barrière :

 

« car passer simplement, en vérité

était-ce possible ? »

 

Bashô rend visite au mont Asaka,

dont le nom sonne pour lui

comme pour nous l’Olympe ou le Parnasse,

 

demandant aux paysans du lieu

qui est marécageux :

 

« Katsumi ? Katsumi ?

Quelle plante appelle-t-on

Katsumi fleuri ? »

 

C’est un nom rare cité

dans un fameux waka :

 

O katsumi fleuris

Des marais d’Asoka,

En la province de Michinoku !

 

Que pour celle que j’ai à peine vue

Mon amour dure toujours !

 

 – katsumi, iris,

et katsu miru, entrevoir,

y sont en rapport, à peu près,

 

comme « désir, idées »

avec « des iridées »,

dans la Prose pour des Esseintes, 

 

ou comme « iridées »

avec « irradier »

en nos temps de désastre.

 

Personne ne sachant répondre au voyageur

et le soleil disparaissant derrière les crêtes,

 

il était temps pour lui de prendre gîte :

« Je passai la nuit à Fukushima ».

 

Bashô, sur le chemin du fond

s’est donc arrêté à Fukushima :

 

c’était au début de l’été

de mille six cent quatre-vingt neuf.

 

Littéralement, ce chemin

c’est celui du nord ;

 

poétiquement, c’est celui

de ce qui n’est ni n’est pas :

 

Limpide, la lune

sur le sable

par le Pèlerin porté.

 

Vision dans une larme

selon un autre version :

 

Larmes répandues !

Rosée sur le sable

Par le Pèlerin porté.

 

Cela fut écrit voici plus de trois-cents ans.

Mais aujourd’hui ?

 

Au territoire de Fukushima,

bien au-delà de la zone interdite,

 

les enfants portent des colliers

ornés d’un dosimètre ;

 

et jouer avec le sable ou la neige

ou avec le reflet de la lune dans l’eau

leur est vivement déconseillé :

 

Larmes répandues !

L’invisible tue…

 

Quant à cueillir des iridées,

même loin au-delà

de Fukushima,

 

cela vous irradie

d’une subtile aura,

infiniment moins éphémère

 

en ses effets,

que le plaisir de cueillir

l’absente de tout bouquet,

 

ou que l’infini bonheur

de lire de maître Bashô,

ce hokku 

 

dédié à son hôte,

en le quittant sur le chemin

du fond encore naturel des choses :

 

Feuilles d’iris,

À mes pieds je nouerai :

Des sandales de paille, les brides.

 

 

 

 

 

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rédaction

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