L’avenir sera assurément mutantiste… Nous remercions Mathias Richard – dont nous avons mis en ligne bon nombre de créations et réflexions – de nous avoir donné à publier en avant-première un extrait du livre collectif à venir, qui fait suite à Mutantisme 1.1 : Mutantisme : PATCH 1.2.
Le poète dans la technique
Tout comme le transhumanisme, le mutantisme a un fort rapport avec la technologie, avec la science, et leurs prospectives, mais (contrairement au transhumanisme) ce n’est pas du techno-enthousiasme béat, plutôt de la Realpolitik car une grande partie de la vérité de l’époque (du changement d’épistémè qui lui correspond) s’y trouve.
La science est une drogue mentale. L’environnement techno-scientifique agit comme un shoot sur le cerveau et fait rêver, créer, écrire, penser sous d’autres angles.
Un exemple parmi mille autres : la Singularité Technologique, ou la théorie-prédiction de la possibilité de l’avènement d’une intelligence artificielle (IA) s’auto-reproduisant et s’auto-améliorant de plus en plus vite, reléguant en quelques années l’humanité à l’état de seconde intelligence sur la planète. Dans cette perspective, on peut voir l’humanité comme un trait d’union permettant l’avènement d’un autre type d’intelligence la dépassant.
(Van Gogh : "être un cheval de fiacre qui traîne voiture de gens qui vont jouir du printemps : anneau dans la chaîne des vivants, utile à des gens qu’on ne connaît pas").
En relation avec l’obsession de l’avènement-IA, le premier ensemble de syntextes, Réplicants, propose de décrire les pensées (scriptopsies sous formes syntextuelles) de différents types d’IA robotisées (réplicants), souvent plus humaines que les humains.
Ainsi, concernant cet exemple, la question n’est pas de savoir si la Singularité Technologique est vraie ou fausse, possible ou impossible, mais comment cette information, cette théorie, cette possibilité, nous impacte, modifie notre vision du monde, en quoi elle est fertile pour créer des formes et des idées.
Le mutantisme est la machine à penser et fantasmer et créer qui accompagne l’intensification de notre environnement techno-scientifique.
Religion cargorobo (roboculte)
Le machinisme est désormais intégré dans les consciences.
Le sacré a été transféré à la technique. Nous sommes dans le règne de la technique sacralisée. Techno-dépendants, techno-addicts. Aujourd’hui tout s’organise et s’explique par la technique.
L’art mutantiste est imprégné de l’imaginaire scientifique et technologique (volontairement ou non).
Il montre et opère des retours des processus technologiques et informatiques dans les comportements, la création, l’humain, le biologique.
On veut imiter avec nos corps et nos pensées les processus informatiques et technologiques, faire de l’informatique sans ordinateur.
Le geste mutantiste favorise les techniques "mentales" (le travail sur la pensée, la sensation, le langage) à la maîtrise d’outils software : se fabriquer des logiciels de pensée, des logiciels mentaux, des plugins d’actions et comportements.
De leur côté, les machines s’humanimalisent à coup de bugs et glitches.
Les virtuoses de la technique sont nombreux. Les mutantistes sont des êtres traversant la technique, traversés par elle, sans forcément chercher à la comprendre ou la maîtriser, sans viser à l’expertise ou à la spécialisation mais à être comme des sauvages de la religion des cargos vénérant les avions et les stations de radio et imitant les militaires et techniciens en construisant des micros en bois et des pistes d’atterrissage sur des chemins. De même nous cherchons par des actions cabalistiques à imiter les robots et les ordinateurs et les appareils et machines (pour échapper à la souffrance, à la faiblesse, conjurer le vide et nous sentir plus forts et performants, tendus entre résistance et adaptation, et nous trouvons de nouvelles idées, grésillants d’électricité).
Notre religion des cargos est la religion des ordis et des robots.
Le geste mutantiste utilise les outils à disposition (exemple : technologies de l’information) sans chercher à les maîtriser, mais à les traverser et à être traversé par eux et témoigner de ces frictions et traversées.
Entre Homme et ordi : échanges, feedback, circulation (breakdance).
Exemple : le syntexte vocal (diction, processus, sources, modes). Plus largement, la plupart (sinon la totalité) des machines mutantistes.
La science-poésie, ou poéscience
Après la SF ou science-fiction, il faut enrichir la palette des écrits créatifs liés à la science avec la SP, la "science-poésie", ou poéscience (poésie-science).
La mutantiste veut un geste poétique qui n’ait pas pour thème la SF mais qui soit de la SF en lui-même.
Poéscience : utiliser des matériaux scientifiques (discours, images, sons…) à des fins poétiques (artistiques)