Armand Dupuy, La Tête pas vite, éditions Potentille, dessin de Bobi + Bobi en couverture, automne 2011, 34 pages, 7,70 €, ISBN : 979-10-90224-02-5.
Il faut faire attention à ce que certains parviennent à écrire, à ce que certains parviennent à éditer. Les uns sortent des mots cassés d’une tête en explosante-fixe, les autres lisent comme on marche au bord de l’abîme et nous offrent l’occasion de lire les mots des premiers – et d’y trouver ressource, plage de vivre où rien à faire donnerait le la.
Potentille, comme puissance d’exister, comme énergie, ces fleurs un peu partout dans toutes les couleurs : c’est un éditeur. La tête pas vite, comme attendre, comme penser à vide, comme à l’école – comprend pas vite –, comme en famille sous le coup de boule paternel et pourquoi ? – « c’est la seule façon ».
Les uns éditeurs sis à La Fermeté (ça ne s’invente pas), imprimés à La Charité sur Loire (itou). L’autre, Dupuy, Armand + Bobi + Bobi : entêté + si calme à force d’endurance. Bobi dessine une tête prise dans une chaise avec des corbeaux qui becquettent l’herbe du vide.
– Ou bien de neige, « laquelle ravale un bruit d’os et de bec ».
Pas de table des matières de tête : ce sont trente pages partagées en trois titres comme arrachés quelque part : ravale un bruit ; la tête, pas vite ; qui de rien.
La dernière dialogue avec un classique du siècle précédent :
rater mais quand même
toucher mieux
quelque chose.
Et la première s’ouvre façon Lichtenberg ou Michaux :
La nuit ne pèse
rien sur les chaises.
Mais foin des références aux aînés, car ça s’écrit au ras d’ici, et ça nous dit exactement, dans cette langue-là :
(…) la tête pioche
l’absence de tête dans la tête :
un ailleurs plus friable et sans fin.
Piocher : la terre, mais aussi la tête, mais aussi le tas de cartes, le tas de mots ? de rien ? Ici, Milarepa s’invite, le vieil ascète: « concentrez-vous sur l’absence de sujet dans la concentration » (Les cent mille chants)
Est-ce qu’Armand Dupuy croit à la réalité de sa tête ? En tout cas, il ne croit guère en l’objet :
(…) Un arbre et je me vois, tu dis, mais/l’arbre efface en bougeant ce que tu sais.
Proximité de Roger Giroux :
Pin caché dans le pin, caché dans l’abre. L’arbre hurle dans l’arbre, et l’arbre prie dans l’arbre, et n’a d’autre parole que cela : être dans un arbre ! Qu’est-ce qu’un arbre ? Qu’est cela qui s’échappe, infiniment, en un délire de forêts, de navires, de poèmes ?
Si je n’étais pas là… (L’arbre, le temps).
Cette langue lyrique n’est plus celle d’Armand Dupuy, tramée à l’envers du tout-venant de la dominante, en ellipses, trous, syncopes et ratés exprès – et plus nôtre ainsi :
Véloce et vive de ne rien, car rien ne s’oppose.
Et sans grand respect pour la syntaxe:
Bien droit et
ronge.
C’est son style et c’est sa parole depuis Dehors/hors de/horde (Publie.net). Non sans cohérence ni clarté pour ici :
Tu casses une allumette,
tu en casses dix / il reste quand même quelque chose
Bien droite et ronge – la pluie, puis
derrière.
Depuis assez longtemps pour qui le lit, il se tasse au bord du vide comme un quasi rien : c’est son côté aérien :
Et le vent dérape, chasse
les idées, les chasse au loin. La voix continue, seule
et blanche
ou corde à linge.
Ou son côté moins que moins :
Je regarde mes doigts. Je pourrais tenir
sous un ongle, tout contre un peu de crasse …
Entre la corde à se pendre et l’ongle où se terrer, quelque langue :
On se répète des mots taiseux, toujours les mêmes, pour ne pas dire autre chose. La tête bouclée dans le sens …
Ce qui ne va pas sans méditer, par exemple, ce qui pourrait se penser, dans la tête, de l’œil qui contemple ce qu’on n’atteint jamais :
Les jonquilles
ne pensent pas, me dirais-tu, mais
dans l’œil esseulé,
tout pousse et pense.
… Mais qu’est donc la pensée sinon poussée de ce qui n’est que pour l’œil et pour les autres sens de l’humaine espèce ? Sauf qu’ici ouvrir les yeux se conjugue au pronominal – et c’est ainsi qu’écrire troue les fameuses « formes à priori de la sensibilité » :
Moins vite
que la pendule, juste
à découdre
les bords de deux nuits / s’ouvrir
les yeux.
Le titre : La tête, pas vite est présenté déduit d’une phrase de Thoreau qui fait de la tête humaine un groin pour creuser. Soit en français :
(…) Mais le vrai de tête pioche
et pioche en galop
sous la main qui note
La main d’ombre note la lenteur : « La tête pèse bas sur le flanc, va lente et sans rêves. » Elle consigne l’attente :
voir pousser le temps, car je prends
le temps, je l’embrasse. Je reste en piquet long dans
ce vent.
Elle adresse l’appel :
tu dis c’est la journée, la boue
de personne
personne n’entend.
Mais comme les quelques taiseux que je connais un peu, Armand Dupuy n’a qu’une devise :
je parle ou je
me tais.
Provocation du « Dreit nien »… à bon entendeur : « Je me tais dans ce que j’entends, je reste avec – »
Le fond, depuis Rousseau, c’est sans doute l’exigence de sentir l’existence et le défaut corrélatif de l’inquiétude humaine en manque de dire assuré :
On voudrait sentir la vie plus fort
mais rien n’échafaude,
quelques phrases passent.
Athéologie. L’intuition qu’il n’y a sans doute rien au-delà des apparences :
Au fond, il n’y aurait pas grand chose à dire.
Juste un arbre qu’on ne voit pas
dévore plus bas,
personne n’est là.
Ainsi la tête, à force de se creuser :
S’amenuise pour ne faire qu’un cheveu.
brin d ‘herbe
ou fil assez lâche
au vent.
Jadis, aux temps baroques, on nommait cela : Vanité. Mais c’était pour engager vers un memento mori en clef religieuse ; reste aujourd’hui l’entêtée contemplation de la merveille de rien :
On parle pour ne pas –
neige éclatée rose,
on parle de neige et le prunus, fin mars,
revient lourd
et lent,
respire
sa neige éclatée.