Jacques Sojcher, Eros errant, dessins de Richard Kenigsman, Fata Morgana, Fontfroide le Haut, mai 2016, 64 p., 13 €, ISBN : 978-2-85194-814-4.
A sa manière Eros errant est un livre de sorcellerie amoureuse. Il est rouge sang mais reste celui de la dévotion à la femme. Quittant son « rêve de ne pas parler », Sojcher se dégage de la mort qui habite son œuvre. Le texte devient une diction aussi affolée que sage sur la face souvent cachée de l’amour. La théâtralisation des fantasmes s’y opère non sans humour et contre l’angoisse. Le frivole devient une manière de lutter contre « la mort que l’on se donne ou qui nous est donnée » (Blanchot).
Pour ce faire, Sojcher cultive des cérémonieux particuliers qu’il ose enfin dévoiler parodiant au besoin ses anciens états de jouvence. La glose mousseuse de ses anciens torrents reverdit, creuse encore les reins de la femme et renouvelle ses dentelles. Qu’importe si le temps coupe l’herbe sous les pieds du printemps : jusqu’à l’automne le feu sacré du désir ne fléchit d’aucune plainte. Sans exubérance le suave souffle et qu’importe si le ciel finissant s’approche. Le plaisir donne ses tremblements à la chair et les roses de jadis (mais non de personne) perpétuent une cueillaison émouvante face au saccage du temps.
Le sentiment érotique reste un moyen de dresser sa propre existence sur l’abîme. C’est un superbe tour de passe passe et de maîtrise. Le "volume" donné par l’auteur à l’écriture sanguine permet de révéler l’homme en le poussant dans les retranchements de l’intime affectif que l’auteur ne dévoila jusque là que par saccades. Cela revient à transformer l’auteur de rôle type en un drôle de type. Il ne cherche pas, en fidélité à ce qui il est, à dominer sa partenaire – même, ou surtout, lorsqu’il s’agit de la « femme léopard » sortie d’un tableau du Douanier Rousseau.
Jacques Sojcher matérialise poétiquement et en évitant les basiques mots stimuli, clôture et invitation sensorielles révélatrices des profondeurs de l’être. Moins sacrificateur qu’officiant de la grande œuvre amoureuse le poète inverse bien des « donnes » sous le sceau de la confidence. Il semble dire à la femme : « Prépare-toi car je suis prêtre ». L’injonction se fait, dans cette prière, la dominante. Elle ne cherche plus à argumenter mais à réanimer des cadences-frictions, linges jetés à terre, pour que les veines se rappellent à leur sang : salive aux commissures du soupir, la ponctuation suffoque.