Ki-bon… tel est le sésame de ce jeu de têtes dont la dimension épiphantaisiste est renforcée par la tension-torsion entre texte et figures carnavalesques – de sorte que nous avons affaire à une torsade grotesque. Nous tenons à remercier vivement les auteurs de nous avoir réservé la primeure de cette création originale (Armand Dupuy pour le texte et Stéphane Dussel pour les dessins).
6 Têtes à Ki-bon
1.
Neige en voilà. De-ci de-là, s’ébouriffe le fil ou fuse ou carrément craque. On est vite perdu. De longs paquets traînent vers la porte et des arbres collants. Il dit ce froid, dans ce froid qui dure, il se répète, non ce n’est pas normal, mais si ça … pourquoi pas, puis se répète, s’affaisse et lâche, recommence. Suivre sa pensée n’est pas simple et j’entends sa tête ou l’empreinte d’un monde à l’envers sous la neige, cette Neige-en-voilà, ce grand mot tu, ce foutoir lissé sous le trop bleu qui baisse. Et, tout cela, premier saut lent de la tête à Ki-bon reviendra, tu le sais déjà.
2.
Lui l’a touchée dit-elle, et de ses deux oreilles, ma chatte. Elle s’avance et je suis avec elle, sans plus, on avance. Nos pieds qu’on ne voit pas font ce qu’il faut, parce qu’on avance et que ça recule, et que ce recul me chasse avec elle et le décor. Il ne reste pas grand chose, des bouts de phrases embouties, des bouts de rien. Puis l’abri baisse, sous le trop bleu. Abri c’est le mot pour dire l’enchevêtrement noir d’un cerisier dans lequel s’enroule je ne sais quoi qu’il faudrait qu’on abrite, alors qu’on est là, nos pieds rangés sous la table et qu’on ne marche pas vraiment. C’est juste que je mâche l’inquiétude qui ne sait pas le nom qui la tient.
3.
Rien à faire d’un tas de miettes – le tout fait plus que la somme des parties, mais pourtant… – cette espèce de pudding ou de sale tambouille. Il y a de ça dans la tête à Ki-bon qui n’avance pas comme dans la phrase on cravache, mais comme évacuer des bouées, de petits plots successifs sur la vase et s’y cramponner.
4.
d’après Domenico Ghirlandaio, Portrait d’un vieillard et d’un jeune garçon (Vers 1490).
Tête à l’envers où je me tais, le chemin n’est pas long, ni l’inverse. Et l’on se demande si la somme qu’on sait n’encombrera pas ou même n’empêchera pas. Alors on laisse. On reste à patiner puis ça passe. Il faudrait pouvoir ne plus demander. Se tenir là, quelqu’un dans l’effroi simple de voir. Et deux fois dévisagé Ki-bon, par son pif et l’enfant. On ne parle déjà plus de l’enfant, pourtant, mais de la couleur, mais de celui qu’on stagne en soi. Ce rouge qui voit, qui nargue et tache dans le gris d’aujourd’hui.
5.
Maintenant, sans la neige, une espèce de terre têtue colle aux pattes. Ici, le mot pattes pourrait encore se dire tête, pourrait signifier ce qui file quand tout autour s’arrête, qu’on laisse filer mou, la pensée, peut-être, mais tout aussi bien le glouglou d’estomac. Une terre têtue de couleurs dans laquelle on patine, l’image revient. Un dérapage là-dedans, dans ce qui n’est pas touché, ne l’est jamais peut-être. Une position d’attente qui ne lâche plus, mais se ferme et qu’on n’a pas vu se fermer.
6.
… après quinze jours, un mois, deux mois que j’avais le modèle, je me suis aperçu que je ne voyais rien du tout, que tout m’était inconnu… dit G. qui bouge assez vivant sur l’écran, tandis que, lui, Ki-bon s’enfonce et ne dit rien, presque assez mort sur le flanc, mais ne voit pas mieux le modèle pris dans ce grand cube froid. À croire que ce qu’on dit n’est jamais loin de ce qu’on terre.