Christophe ESNAULT, Poète né, photographie d’Aurélia Bécuwe (« Je te salue vieil océan »), éditions Conspiration, printemps-été 2020, 82 pages, 14 €, ISBN : 979-10-95550-12-9.
Présentation éditoriale
Ce texte relève du travail éthologique : s’appuyant sur plusieurs années de recherches et d’études de cas sur les réseaux sociaux où l’auteur (un espion) a pisté des « authentiques » poètes (et à travers eux, lui-même) il restitue ce travail sous la forme d’une fiction fragmentée et un brin obscène. Afin d’ouvrir un espace sensible – et sur la suggestion de son éditeur – l’auteur a saupoudré son texte de courts poèmes travaillant le thème de l’effacement, pendant aux egos monstrueux et aux rêves de « glouare » de millions de poètes connectés en permanence. Afin de restituer les différentes strates de personnalités à l’œuvre dans ce texte, le livre a été travaillé pour être un objet graphique à part entière.
Note de lecture : Je te salue Poète-né !
Avec cet opuscule irrésistible, Christophe Esnault adresse un pied de nez à la corporation pétaradante des poètes vivants – pour reprendre une expression de Christian Prigent dans À quoi bon encore des poètes ? (1996) –, dégonflant les idéalismes et mythologies. À commencer par la prédestination-du-Poète, son sentiment d’élection… S’il est né sous les auspices de l’Astre noir de la mélancolie, il n’en croit pas moins à sa Bonne-Étoile : « On ricane dans son dos, mais le poète mettra un jour son nom dans le dictionnaire, il le sait depuis ses six ans, et il y travaille sans relâche la nuit quand les simples mortels vaquent à des rêves ridiculement petits » (p. 20). N’étant pas à un paradoxe près, le poète-actuel travaille à sa postérité sans pour autant ignorer la Muse vénale, moins vache que ses prédécesseurs : « Un partenariat avec l’industrie agro-alimentaire serait une aubaine pour le poète, le poète peut écrire sur tout, la contrainte thématique le stimule » (19-20). Le poète-actuel conserve bien évidemment la posture romantique : « Le poète n’a pas peur des élans lyriques et souvent il est tellement emporté par son propre texte qu’il est le premier à chialer et il doit s’excuser devant son auditoire d’être trop sensible à la beauté » (34). Ce qui ne l’empêche nullement d' »être le VRP de lui-même » (49). C’est dire que Christophe Esnault n’oublie pas de démystifier la vanité pathologique du poète-actuel, qui œuvre avant tout à « la promotion de lui-même sur les réseaux sociaux » (55). On n’arrête pas le Progrès-Poétique.
Terminons sur une formule lapidaire, à savoir qui lapide celui qui pratique l’art-à-majuscules pour ériger de son vivant sa propre stèle (en pacotille, bien sûr !) : « Le poète a parfois deux muses : son pilulier et sa psychose » (64). Tout lecteur qui se demande « Mais comment peut-on encore aujourd’hui se prévaloir d’être poète ? » ne peut que convenir, un rien amusé, que ce texte satirique ne manque pas ses cibles.