Simone DEBOUT & André BRETON, Correspondance 1958-1966, suivie de « Mémoire. D’André Breton à Charles Fourier : la révolution passionnelle » & de « Rétrospections », Éditions Claire Paulhan, novembre 2019, 288 pages, 35 €, ISBN : 978-2-912222-65-7.
« C’était comme si, grâce à vous, le bel arbre de Fourier venait pour moi de fleurir,
encore plus resplendissant et odorant, une seconde fois. »
(André Breton à Simone Debout, 15 septembre 1958).
« Fourier revient », tel était le titre du dossier proposé par la revue Critique voici cinq ans (n° 812-813, janvier-février 2015). Y figurait notamment un article de Joël Gayraud, « Au miroir des analogies. Le surréalisme et Charles Fourier », lequel rappelait justement ce que le rayonnement de l’œuvre de Fourier, « moins d’ailleurs comme système de réforme sociale que comme incitation à la liberté des mœurs et source de poésie » doit à André Breton (L’Ode à Charles Fourier a été écrite au cours de l’été 1945) et au surréalisme.
Les lecteurs de Fourier, quant à eux, savent depuis longtemps ce qu’ils doivent au travail fondamental et pionnier de Simone Debout, maître d’œuvre de la réédition des œuvres complètes chez Anthropos en 1967 (reprise partiellement entre 1998 et 2013 aux Presses du Réel) et dont les recherches entamées dans les années 50 ont conduit, notamment, à la découverte et à la publication du manuscrit du Nouveau Monde Amoureux (1817-1819), qui a tant contribué au revival de Fourier. Elle rencontre André Breton « tardivement, au temps du déclin de son influence, et même de sa vie » et parle de « l’espèce d’ordination dont il m’avait privilégiée : ̎vous allez parler de Fourier, disait-il, vous seule allez parler de Fourier ̎».
Leur correspondance, établie, annotée et présentée par Florent Perrier avec le concours d’Agnès Chekroun avait fait l’objet d’une pré-publication en 2016 dans les Cahiers Charles Fourier. Elle est reprise ici dans la très belle maquette qui caractérise les ouvrages publiés par Claire Paulhan, abondamment et savamment annotée et illustrée. Elle comprend 10 lettres d’André Breton et 21 lettres de Simone Debout et s’étend du 30 juillet 1958 à la mort de Breton, le 28 septembre 1966.
Elle est naturellement centrée sur le travail de Simone Debout, la publication d’articles et la communication d’inédits, notamment d’extraits du Nouveau Monde Amoureux dans la magnifique édition Pauvert de la Théorie des quatre mouvements, dont la parution toujours différée (envisagée dès 1961, elle n’aboutira qu’en 1967) est le feuilleton de ces années-là.
Mais rapidement le ton des lettres est devenu plus personnel : dès la lettre 4 (29 septembre 1958), la parution d’un numéro de la revue 14 juillet « beau comme un drapeau noir haut levé » donne lieu à un long commentaire de Simone Debout sur De Gaulle et « l’invention politique ». Le sentiment de la nature (pour elle, les montagnes de Chartreuse, au-dessus de Grenoble où elle vit ; pour lui, « le seul soleil que j’aime, celui – très pâle – des matins d’hiver, quand il avait eu tout le temps de se faire oublier et qu’il n’existe encore, si l’on peut dire, qu’à l’état de promesse ») nourrit de nombreuses lettres. Simone Debout répond à Breton qui lui a demandé « des renseignements précis sur les agathes roulées aux environ de Grenoble » (4 mai 1960). La santé des correspondants et celle de leur famille, les deuils, sont partagés. Les « respectueux hommages » de Breton deviennent « fervente affection ». Comme le dit Simone Debout, « … il me parut tout simple d’écrire à André Breton, de souhaiter le connaître. Et André Breton trouva tout simple de répondre à ce vœu et de m’offrir ce qui est aujourd’hui le souvenir d’une présence et d’une amitié enthousiaste »[1].
Entendre Simone Debout, âgée de 100 ans, évoquer cette amitié dans les locaux de la Librairie Tschann le 24 novembre 2019 était très émouvant, pour tous ceux qui ont découvert et aimé Fourier grâce à elle.
Placée « sous le signe « d’un échange, d’une double fervente attention et d’un enthousiasme commun pour Charles Fourier », cette correspondance est une contribution importante à l’histoire des relations du surréalisme avec Fourier, mais aussi une joie pour l’œil et pour l’esprit.
[1] « André Breton », in Cahiers Charles Fourier, numéro 27 – 2016. Outre la correspondance, ce numéro reprend les articles de Simone Debout parus dans Le Surréalisme, même et dans les catalogues des Expositions Internationales du Surréalisme de 1959 (EROS) et 1965 (L’écart absolu), cette dernière placée sous le signe de Fourier.