Laurent Fourcaut, Dedans Dehors, sonnets contemporains, Tarabuste éditeur, 176 pages, 2021, 16 €, ISBN : 978-2-84587-523-4. [Lire la chronique de Bruno Fern]
Laurent Fourcaut nous a donné en début de printemps Dedans Dehors, recueil de 162 ”sonnets contemporains”. Dépourvue de divisions, de progression entre un début et une fin, il s’agit d’une suite simple de poèmes, d’une unique et insistante parole. Laquelle est double. Et, pour cette raison, tire notre lecture d’un côté et d’un autre, nous enjoignant sans fin, et délicieusement, de les tenir, ces deux côtés, réunis.
Le premier (ou le second, c’est pareil) se trouve résumé par les deux mots du titre. Le “dedans”, c’est le lieu où nous sommes enfermés, ou constamment menacés de l’être. C’est le carcan de notre identité, le poids sur nous de la société et de ses usages, de ses injonctions, des récits sommaires qu’elle fabrique et impose. Ce que résument, ici et là, quelques formules : “l’inepte mélodrame”, “l’atroce manège”, “le tout mer / cantile”. Ou bien l’allusion fréquente au football – le “foute / imbécile”. Le “dehors”, en revanche, à condition d’y accéder, de ne pas le méconnaître, c’est l’espace où il est encore possible de vivre, de respirer. C’est le “monde muet”, c’est “ce qui reste /de l’inhumain éden”. C’est le ciel, la marée, la suite des saisons, en quoi on éprouve le temps – celui qu’il fait et qui est aussi celui dans lequel nous passons, ne cessons de passer.
Cette expérience précieuse, fragile, se donne notamment, dans de nombreux sonnets, par ce qu’on voudrait appeler les attaques météo, ces premiers vers (phrases, aussi bien) très simples, comme élémentaires (disant l’élémentaire présence, le monde ouvert, la sensation intense, pure), vers d’une seule venue (par opposition à la syntaxe souvent retorse de la suite) : “Le soir d’avril se fond frêle dans la lumière”, “Douceur de cette pluie petite l’herbe crue”, “Les arbres dans l’air gris sont réduits à leur trame“, ”L’estran horizontal largement découvert”, “Des champs très verts entre les haies un ruisseau mince”.
De là aussi, poème après poème, l’évocation, en peu de mots, de tous ces lieux, accablants ou délicieux, “dehors” ou “dedans”, où nous nous arrêtons, où, pour un moment, nous sommes : villes, villages, ports, cafés, campagnes, bords de mer… Citons encore ces premiers vers : “Chaleur épaisse et lourde à Bayeux dans les rues”, “Tout au fond du Lachaise au-dessus des tombeaux”, “Les alentours de la gare de Rouen sont moches”, “Cotentin soir de mai dans la paix du jardin”, “La mer à Panormo ouverte sur le large”.
Si ce premier côté du livre joint (juxtapose) le clair et le sombre, l’autre est uniment gai. C’est le sonnet lui-même, la strophe, le vers (donc les syllabes, les césures, les rimes), et le régime alerte, vif, à la fois brutal et respectueux, auquel Laurent Fourcaut les assujettit.
On ne s’attardera pas sur les trente-six façons qu’il a de malmener l’alexandrin tout en le maintenant. Bricolage constant, astucieux, audacieux, exposé-exhibé, et qui touche lexique, graphie, syntaxe, métrique. Mais on notera tout de même certains jeux particulièrement savoureux. Telles liaisons (“leurs cambuses[-z-]ont”), telles élisions (“l’harassement”, “d’humer”), en lesquelles s’accomplit le compte exact des syllabes . Tel hiatus : “s’est desserré et”. Et puis ces formules, assemblages de “vocables” qui font, comme dirait Mallarmé, des mots “neufs, étrangers à la langue” (quoique non “incantatoires”) : “et fait votre vit mol”, “de ces flous rets”, “le liquide or“, “désirs tard nés”, sont-ce îles ?” On citera encore, pour le plaisir, certains quatorzièmes vers, de facture ironiquement classique : « le secret frelaté de la vulve des anges » (Heredia pornographe) ou « il se faut dépêcher tant que l’on est anthume » (Ronsard moderne).
On ajoutera, quoiqu’ils soient plus communs sans doute, tels jeux de (avec les) mots : “vers solitaire”, “d’esprit bel”, “l’autel de sa foison”, “du paître et du néant”, etc. Ainsi que telles citations (joyeusement maltraitées, le plus souvent) : “la vie sans les plis”, “l’informe d’une ville”, “éperdu le désir dès qu’approche l’effet”, “le ciel tout l’univers”, ”la ville mortifère / aux vieillots parapets”, etc.
On dira enfin un mot des métaphores, de celles, en particulier, qui ont le sexe pour objet. Parce que, “dedans” ou “dehors”, d’un poème à l’autre, s’obstine le désir. Le sexe féminin, quelquefois : “ce sublime oméga”. Plus souvent le masculin, lequel peut être ailleurs nommé sans détour (“biroute”, “vit”) : “cédille”, “sauvage trio”, “léza / rd”, “aveugle clystère”. Et cette autre (métaphore), simplement juste : “la caisse / claire de l’air léger”.
Ce livre, intensément, nous place à la fois dans ce monde, ce monde double, où nous sommes sans le vouloir et quelquefois sans le savoir, et dans celui de nos lectures, des poèmes que nous avons lus, récités peut-être, et dont nous gardons souvenir tendre et gai.