Perrine Le Querrec, Rouge pute (2018), Lille, La Contre Allée, coll. « La sentinelle », rééd. 2020, 96 pages, 15 €, ISBN : 978-2-37665-056-0. [Écouter l’auteure : audio de 18 min environ = ici. Dernier article de Guillaume Basquin sur Perrine Le Querrec : ici]
C’est la deuxième édition de ce livre. Je ne connais pas la première édition, parue aux éditions Christophe Chomant en 2018, mais celle-ci est impeccable : impression en cahiers cousus de fil, élégante couverture à rabat, papier bouffant, caractère choisi (Minion Pro), etc.
Perrine Le Querrec travaille comme un cinéaste-documentariste : elle part (toujours) du réel, de l’archive. Elle témoigne, pour ceux qui n’avaient pas accès à la parole. Comme un Claude Lanzmann, elle partit, pendant plusieurs semaines, à la rencontre de neuf femmes, toutes victimes de violences conjugales ; neuf héroïnes qui lui confièrent leur vie et leurs mots. Cependant que les inventions de la violence pourraient laisser sans voix, leur besoin commun fut de briser le silence. Comme toujours, Perrine construit sa langue à partir des mots réticents (« Sale pute ! »), des silences résistants (« Délivrez-moi de moi / De ses violences de mes silences »). Sur les documentaristes, qui ne peuvent ajouter du lyrisme à la prise de vue / de son qu’en ajoutant de la musique, ou en montant les plans / les cadres, l’écrivain a l’avantage de la souplesse des mots : elle peut, par exemple, user de la répétition, afin qu’on comprenne les pièges de cet autre syndrome de Stockholm que constitue la vie dans un couple où l’un bat l’autre : « Et je vais mal répondre, et ça va recommencer / Et je vais me taire, et ça va se calmer / […] Et je vais rester, et ça va durer / Et je vais mourir, et ça va se terminer / […] Et je vais désobéir, et ça va me sauver / Et je vais dénoncer, et ça va s’arranger ». Comment sortir de cette dialectique infernale du maître et de l’esclave, où c’est le maître, comme l’a dit Hegel, qui a bien plus besoin de sa créature dont il fait son esclave, que l’inverse ? Parler. Oser dire. Techniques « classiques » de la psychanalyse… L’écrivain est aussi un psychanalyste !
Parfois, les mots, ce qu’ils sous-entendent, est terrible : « Et quand il se tait, je me demande pourquoi / […] Et quand il ouvre une bouteille, je sais pourquoi / Et quand il se frotte les mains, je sais pourquoi / Et quand il craque ses doigts, je sais pourquoi » Coupez !
Il faut accepter de lire le terrible, sans quoi, « Pour x raisons / [Leur] vie, une tombe »…
C’est au dernier poème du livre, « Rouge pute », que son titre prend tout son sens : une de ses héroïnes, devenue fugitive, s’affirme, et résiste à son bourreau : « La liberté / Pour moi c’est Rouge Pute / Ma liberté / Du rouge à lèvres, du rouge voyant, du rouge-tu-/me-vois ? / Du rouge-c’est-moi ».