Armand Dupuy, Grandes boîtes bleues, linogravures de Jérémy Liron, Æncrages & CO, Baume-les-Dames, automne 2021, 64 pages, 21€, ISBN : 978-2-35439-106-5.
Comment le dire, « ronge ce que ronge », paysage à l’envers entre loup lune et louve, on ne distingue pas que, ou le bois mort d’une patte ou le marc d’une main, où commence le bleu son deuil, deux visages, outre la palette d’un geste subliminal qui ne peut taire ni ne veut oublier.
D’où l’entre-dire, le nu-dire, le non-dire, le dire-par-absence, le bleu sapientiel de « phrasouillante autorité », le dire-court des chutes et des signes, la fleur de sel de ces lambeaux d’extracts « repassant (…) jusqu’où faire se peut » la définition elle-même, à huis clos, cendres et fumerolles, par soustractions de « mots manqués » épointant dans le langage le réel, la flamme mouchée « d’étranges raccourcis », on dirait de l’art.
De grands bleus abstraits conjugués à l’imparfait courent en marge de la représentation, les empreintes du langage rivalisent de matité avec les encres, l’ombre portée du Poème vaine tentative, anti-portrait de l’indicible. Un empêchement a lieu à des lieues du temps bâché des actes et des lieux, un non-lieu, « le frein définitif d’un sang / stoppé là », « pffft !… » dans les boîtes bleues du poème comme dans une boîte noire : copeaux du vivre.
Bleu est une couleur froide. Noire est une absence de couleur. Boîte louche vers l’intérieur sur un silence de ténèbres. Mon tout est long et humide comme une suite de jours atones. Du contenant au contenu les boîtes bleues sont des boîtes à fuites qui ressuscitent l’hiver les images des jours heureux à plat à notre insu. Bleues dehors, noires dedans. Pleines de vide.
Qu’ici s’échappe « une odeur de pensée », se redresse l’épars resserré dans la grappe du langage dispersant divers degrés de l’élan comme autant d’arbres couchés, « détails, découpes » s’agrégeant d’eux-mêmes hors sol dans la distance plus vrais que nature, « rabibochant le pire et le grimaçant » restitués comme par inadvertance : méthode subjective sans préméditation du Poème, chose agie « ripant dans le souvenir » mais qui n’en a plus, survient et organise le sens autour d’un noyau sensible fiché quelque part sur l’envers entre les yeux au droit du cœur tel un moignon d’éternité soustrait aux étoiles d’où fuse encore ce qui fut.
S’enfoncer seul après le bleu là où il n’est plus qu’une réverbération de noir, le noir l’amidon d’un silence, la poésie la réverbération des naufrages de la vie, grandes boîtes indélébiles de l’art d’aimer encore.
« et j’allais pas flottant ni rêvant / mais roulant mais secouant / les archives ruminant peines et / tracas qui sont nos valeurs ajoutées », à l’image de ces vers, doigts givrés, souffle coupé plus ou moins court, « comme de petits / corps noyés même sans eau ».
Écrire au noir comme l’on s’engage dans le langage jambes à l’arrêt. Écrire comme l’on humecte le suint d’un sentiment de perte vieux comme le monde tandis que de grandes ténèbres bleues offrent en contrepoint de « l’obscurité démoulée sur l’étendue » la traduction linogravée de la phrase menaçante d’objets quotidiens, chaise, rideaux, jetant sur le Poème fil à fil les mailles et les déliés de veuves mantilles : beaux textes.
Ce mikado de bois flottés mi bleus mi noirs s’appuyant sur les mots d’un(e) autre, ces corps étrangers qui s’insèrent dans le phrasé tel le mince entre la semelle et le talon pour vider la phrase et y faire poème à équidistance du jour et de la nuit, nuit du corps et celle de l’âme, âpre chant d’amour ou ce qu’il en reste, gravé poivre et ciel, « n’en brillaient / pas moins sous l’urine des chiens » « de mémoire de petites fleurs de talus / étoiles et clochettes (…) ».
Ce que peut le si peu du Poème, « courants d’air déplaçant des gravats » sans ponctuation là où l’imparfait s’invite, n’épuise pas les ressources : « et c’est encore la vie » mais.
« personne ne respire plus / dans les grandes boîtes bleues : / rien n’écoute au présent »
Pingback: Grandes boîtes bleues – Æncrages & Co