Jean-Pierre BOBILLOT POésie C’EST… (cReVeZ le matelas de mots !), Atelier de l’agneau, coll. « architextes », hiver 2022-2023, 96 pages, 18 €, ISBN : 978-2-37428-061-5.
J’ai conscience, au moment d’entamer ce texte, de l’absurdité de ma démarche : essayer de donner envie de lire ce texte par le commentaire à mon lecteur, alors qu’il suffirait d’en reproduire intégralement une bonne douzaine de pages pour en montrer le déluge d’inventions (pour donner une idée : comme Godard dans Week-end, où il y avait une idée de cinéma par plan).
Commençons donc par, justement, donner à nos lecteurs une reproduction de la page 37 de cette nouvelle édition, augmentée, de CReVeZ le matelas de mots ! de Jean-Pierre Bobillot, poète bruyant tel qu’il se définit lui-même (et plutôt que sonore).
Où l’on voir alors que non seulement la poésie bruyante de Bobillot est « de l’âme pour l’âme » (réminiscence rimbaldienne), mais aussi et surtout de la pensée pour l’œil (du lecteur) et l’oreille (s’il entendait l’auteur performer le grand poème central de ce volume (qui lui donne son sous-titre), ainsi qu’il m’a été possible d’en faire l’expérience lors d’une soirée autour de la revue L’Intranquille dans les locaux d’Ent’revues, autrefois). Chaque « poème » (mot qui ne convient guère ; mais je n’en trouve pas d’autre) qui constitue ce recueil est une réflexion en soi sur la forme de la poésie / du poème : la POésie C’EST ?…
Pour Bobilllot, comme pour feu Godard du cinéma, la poésie ça ne va pas de soi ; chaque « poème » est une nouvelle expérience : poésie expérimentale strictement, c’est-à-dire « qui constitue une expérience », selon le dictionnaire. L’expérimentation la plus impressionnante du volume est justement le poème qui lui donne son sous-titre, construit en acrostiches qui reconstruisent son titre et aussi bien en français qu’en anglais. Voyons cela :
C revez le matelas de mots
R êvez le matelas de mots
E ve et le matelas de mots.
V idez le matelas de mots —
E t les mots du matelas, qu’en ferons-nous ?
Z igzag les mots du matelas !
Etc. etc. (Le lecteur doit me croire sur parole, cela marche aussi en traduction anglaise !)
Tout cela, cette orgie d’expérimentations, est remplie d’humour (c’est assez rare…) : « Words of all matresses, unite ! » ; ou bien : Poésie « C’EST la flèche & l’enclume, le paysagiste & les brumes ». Ô saltimbanques des malaises incurables !…
On croit généralement que « POésie C’EST des mots », et alors que « POésie C’EST démodé / POésie C’EST des mots d’trop / POésie C’EST des mots & c’est pas des mots », ou plus exactement : « POésie : CÉdez, mots !… ».
Cette poésie est évidemment hyper référencée : POésie C’EST « L’hymne – ou l’hymen – céruléen / de la Mer & du Ciel / (C’est mon côté un peu “Elle est retrouvée…”) » Quoi ? L’éternité, pardi !
« Poète bruyant » ? Parce que la POésie pourrait faire du bruit ? Et comment !
bouCan d’touCans !
[…]
bohu-coquin : corps feint,
corps-buccin toX–
– ou : succinct ?
/ t’occit l’TeX–
/t-il ?
Je laisse à la dilection du lecteur la découverte de la suite des expérimentations de Jean-Pierre Bobillot, maître de la typosphère et de la POésie lisuelle (c’est-à-dire visuelle quand on la lit).