Mathias Richard, 2020 : l’année où le cyberpunk a percé, Caméras animales, 2021, 72 pages, 10 €, ISBN : 978-2-9559879-0-2. [Ce livre, en plus d’être disponible sur le site Caméras Animales et les librairies habituelles, sera aussi exceptionnellement disponible sur le stand du cipM (Centre international de poésie Marseille) au Marché de la Poésie 2023.]
« (Tout semble dire : le feu est éphémère et le froid est éternel) » /M. R./
Autant le dire tout de suite : le titre de ce livre de poésie ne rend pas vraiment compte de son contenu, qui est tout entier de révolte intégrale contre le monde tel qu’il va en général, et contre le monde du Covidisme tel qu’on nous l’a fallacieusement vendu (le « fameux » (fumeux ?) « monde d’après ») en particulier : « On vient d’un monde que nous détestions et qui malgré tout était plus humain. Chaque année le monde devient moins humain. » Vous voulez des preuves ? « Tout ce qui n’est pas permis est interdit. Sauver des vies convainc enfin tout le monde de la nécessité morale de la mort sociale et de notre esclavage » (c’est moi qui souligne). Ou bien : « “Non nécessaires” = interdits de déplacement, interdits de travail, interdits de rencontre ; interdits à toute promotion sociale, et interdits à la reproduction. Vies sans issue. » Mais aussi : « Les enterrements sont interdits. Nous répétons, les enterrements sont interdits. Toute personne suivant un cortège funèbre est immédiatement verbalisée et arrêtée. » Vous voyez plus clair, maintenant, quant à ce qui s’est réellement passé (presque) sous vos yeux ?
Moi qui ne m’intéresse ni à la culture « cyber » ni à la culture « punk », sans un cadeau de l’auteur (merci à lui), je ne me serais jamais intéressé à ce livre… Dois-je « comprendre » qu’il s’y inscrit une ironie à l’égard du masquage généralisé de la population, en 2020 ? « C’est Carnaval dans la rue tout le monde porte des masques maison ! […] et des lunettes noires réfléchissantes. Impression d’être en pleine soirée électrogothique. 2020 : Cyberpunk a gagné. » Il n’empêche, c’est surtout la soumission généralisée, qui l’a emporté : « Tu mérites le contrôle qu’on exerce sur toi. […] Tu méritesd’être contrôlé […] commandé. Ordonné. Dirigé. Programmé. Tu le demandes, à être contrôlé. Tu mérites le contrôle » (je souligne). Car ainsi s’est comportée la population occidentale, en 2020-21 : « “Je te donne l’ordre de me donner tous les ordres que tu voudras.” » Mathias répète : « “Je te donne l’ordre de me donner tous les ordres du monde”. » Camp (« sanitaire ») volontairement accepté… comme de la servitude autrefois.
Instiller l’obéissance, six étapes.
1/ Impensable
2/ Radical
3/ Acceptable
4/ Sensé
5/ Populaire
6/ Loi
Ainsi en fut-il de l’assignation à résidence forcée… puis du masque obligatoire… puis de (la quasi) obligation vaccinale…
Ceci, qui ne laisse pas de m’interroger presque 24 h sur 24 : comment les « poètes » de notre temps ont-ils pu autant accepter cette servitude ? Beaucoup d’artaudiens de façade (ce sont des décorateurs) ; mais bien peu sont ceux à en avoir tiré toutes les conséquences : « S’il n’y avait pas eu de médecins, il n’y aurait jamais eu de malades !… » Presque aucun poète français, sauf Mathias Richard et Pascal Boulanger, n’a intuité cette phrase, qui vaut bien des métaphysiques : sans tests PCR, il n’y aurait jamais eu de « pandémie » « mortelle » Mathias Richard résume : « L’année 2020 n’aura pas lieu. » En effet, elle n’eut pas lieu ; ce que résume bien son poème apocalyptique « Fermez » : « Fermez les forces, jusqu’au néant, jusqu’à ce que tout devienne strictement immobile, jusqu’à ce que tout soit strictement séparé, jusqu’à ce que tout soit bien rangé […], jusqu’à ce que tout soit rien, calme, que cela ne respire plus, que rien ne passe ni dans un sens nu dans l’autre [stop la contagion : enfin !], que rien, que rien ne se passe, que plus rien ne se passe, et tout cela, tout cela, Au Nom de la Vie. / […] Fermez la Terre, fermez l’univers, fermez tout. / Fermez bien. Fermez tout. Fermez. » (Il faudrait citer tout le poème (deux pleines pages), pour rendre compte de la dinguerie intégrale des deux confinements de 2020… mais la place nous manque.) Tout poète qui ne s’est pas révolté en 2020-21-22… ne se révoltera jamais (en fait). Leur cas est réglé : ils n’ont pas senti le plomb qui plombait tout, annihilant toutes semelles de vent : « Des semelles de plomb, […] des ailes de plomb dans la tête. […] C’est comme l’Etna, c’est comme Pompéi, c’est comme la lave de Pompéi qui emprisonne les vivants et les objets, mais avec du plomb. On est tous en état d’arrestation, de conservation dans du plomb, comme si on voulait faire un moulage de nous, […] le monde est emmoulé […] pour faire des statues, pour faire de nous des choses, […] des insectes sous résine, des choses conscientes mais qui peuvent plus du tout bouger ! »
Lors d’une balade dans Paris avec le poète, nous sommes passés devant l’ancien Beat Hôtel, rue Gît-le-cœur ; qu’aurait pensé William Burroughs de notre époque ? qu’aurait-il ajouté à son œuvre prémonitoire (« instant news addiction is a metabolic illness ») ? Burroughs l’a rêvé ; Mathias l’a fait ! « Merci les téléphones portables la personne te regarde droit dans les yeux et rit mais elle parle à quelqu’un d’autre dans son téléphone » (en fait) ; « En tout lieu, déconnecté des gens qui l’entourent, quelqu’un crie répétitivement : “Allô, allô !?” […] Certains vont dehors [attention les amendes !] mais pour regarder un écran qu’ils tiennent dans leur main […] Même avec une sortie limitée à quelques mètres et quelques minute par jour, ils la font toujours les yeux rivés sur l’écran d’un smartphone, en marchant comme des robots sans regarder autour… » Oui, l’Histoire est un cauchemar (Joyce) ; mais Mathias s’est réveillé : « Marcher dehors m’a fatigué les yeux, je ne suis plus habitué à voir autant de réalité » (c’est moi qui souligne).
Toute poésie véritable pourrait être vue comme sortie de l’enfer en fait (Artaud, toujours) ; et Mathias Richard ne déroge pas à cette règle : « Quand je ne sais pas quoi faire je regarde les éboueurs. C’est toujours mieux que regarder un écran. » Et puis : « Je pense que dans l’art, la poésie, le but c’est de libérer. Et le but des séries [mais aussi des news en continu] est plutôt d’enfermer. Enfermer dans des choses qui n’existent pas, des personnages qui n’existent pas. » Retour au réel : « La lumière est belle. Je marcherai dans cette lumière jusqu’à ce que la nuit arrive » : « Il faut juste que j’arrive à me connecter avec ma joie une fois par jour. » Que la joie de Mathias Richard demeure !
Au cours de notre balade évoquée supra, nous nous sommes remémorés cette fameuse formule de Georges Bataille comme quoi aucun écrit où l’on ne sentirait pas que, très sensiblement, l’écrivain n’a pas été contraint, ne vaut rien ; Mathias met en pratique, sans coquetterie je crois, cette règle sûre : « Ceci est le livre de quelqu’un qui a pourtant décidé d’arrêter d’écrire. / Pour écrire, il semble en effet préférable d’avoir décidé d’arrêter d’écrire. Et écrire malgré tout si nécessaire (en ne le voulant pas et en traînant les pieds). » À quoi j’ajoutai : « L’écrivain véritable doit mettre sa peau sur la table » (Céline). Mathias : « J’ai eu mon drame viral un an avant tout le monde (trois grippes différentes début 2019, cloué au lit pendant des mois, crachant mes poumons jour et nuit, sans arriver à bien respirer ni à dormir ni quoi que ce soit d’autre, de surcroît diagnostiqué BPCO (bronchite chronique) […] du coup quand le Covid est arrivé, j’étais prêt physiquement, sans le savoir, ça faisait un an que je me préparais. » Après quoi il faut payer : « Je suis pauvre à la limite d’être clodo.[…] C’est la rigueur, et l’esprit de justesse, qui m’ont mené à la déchéance totale. » Vous trouvez que Mathias exagère à se plaindre ? « La réalité est bien pire que mes textes, hélas. (Évidemment.) »
Comment être poète jusqu’au bout ? « Toujours garder en réserve de l’inadaptation. » Une histoire de sortie de l’enfer, probablement…