[Chronique] Nathalie Quintane et Stéphane Bérard, Club bizarre, par Barbara Dimopoulou

septembre 19, 2023
in Category: chronique, UNE
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[Chronique] Nathalie Quintane et Stéphane Bérard, Club bizarre, par Barbara Dimopoulou

Nathalie Quintane et Stéphane Bérard, Club bizarre, éditions PLI, septembre 2023, 70 pages, 15 €, ISBN : 978-2-9567305-6-9.

Il faut accepter de jouer le jeu. Le jeu de(s) mots, bien sûr, dans leur littéralité, mais aussi le jeu des images : énigmatiques, suggestives, parfois naïvement illustratives, parfois ratées. Images qui font penser à des dessins d’enfants : reproductions manuscrites, maladroites, rudimentaires. Des lignes claires, légendées, placées majoritairement sur les belles pages du livre que viennent de publier les Éditions PLI (structure éditoriale, vieille de 10 ans, connue par la revue et l’éphémère collection homonyme aux Presses du réel).

Tout est contenu dans le graphisme de la couverture de ce livre à deux voix : Club bizarre – le hit des années 1990 ? le club Quintane/Bérard qui « s’entre-valide depuis 1993 » ? – ce titre couvre le tiers de la surface du livre. La typographie imposante, linéale et massive, en noir profond, sur papier carton accroche d’emblée le regard. Lisibilité forte qui contraste avec la disposition serrée des noms du club, sans interligne, avec une ample respiration entre les blocs. Vous comprendrez mieux en tenant le livre entre les mains. Sur la 4e de couverture, une petite vignette superpose une girafe (Nathalie ?) et une bombe (Stéphane ?). La girafe dessine et la bombe écrit. Il se trouve que les poètes dessinent (« vite », comme nous renseigne la préface signée N. Q.). Il suffit de penser à Christophe Tarkos (impossible de ne pas le faire).

Il faut accepter de jouer le jeu, qui consiste à accepter d’être perdu.e, dérouté.e, et de chercher en permanence sa route… La route de la phrase : un fil à dérouler, par exemple une suite énumérative qui mène de plus en plus loin par rapport à son début et de plus en plus près par rapport à ce qui nous atteint malgré nous (comme Houellebecq ou les DRH d’Air France, p. 34). Il y a aussi la (dé)route du dessin : le contour de quelque chose, copié approximativement, « de mémoire » (p. 27) ou à l’inverse de quelque chose de très précis, d’encyclopédique même, comme les différents types de moustaches (éléments historiques + dessin technique, p. 58-59). On peut se moquer des encyclopédies…

Le livre est drôle dans toutes ses composantes, malgré les questions sérieuses qu’il soulève par séquences courtes et denses. L’une de ces questions sérieuses, la finale, est celle de la révolution, celle qui décapite les rois (et ses avatars), celle qui finit par inspirer la décoration d’une assiette fêlée. En fermant le livre, nous sommes rassuré.e.s que rien dedans n’est bizarre, que ce n’est que notre terrible normalité qui y est dite : « au cours des chapitres dont se compose l’ouvrage, on retrouvera des notions, ou parfois même des suppositions, – intuitifs seront les déroulés, intuitives seront les responsabilités mêmes limitées. Cependant si l’audace y est un ressort sinon la visée, aucun enchaînement psychologique compliqué ne troublera la lectrice et le lecteur en l’obligeant à des souvenances inconnues de lui ou d’elle, à des contorsions déductives adaptatives impossibles à saisir. »

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Fabrice Thumerel

Critique et chercheur international spécialisé dans le contemporain (littérature et sciences humaines).

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