Lucien Suel, Le Livre des Poèmes express, préface de Joël Hubaut et introduction de l’auteur, éditions Dernier Télégramme, en librairie depuis le 13 octobre 2023, 504 pages, 35 €, ISBN : 979-10-97146-57-3.
Parce que ce volume est le dernier d’un ensemble qui représente une voie originale de ce dernier tiers de siècle et que son éditeur y a apporté le plus grand soin, il mérite de faire partie de toutes les bonnes bibliothèques, individuelles ou publiques : pensez donc, quel poids, réel (1,3 kg !) et symbolique !
Entré dans l’espace poétique au début des années 80, après sa période de découvertes et initiations en un temps d’extension du domaine littéraire grâce aux avant-gardes, Lucien Suel se situe assez rapidement au carrefour des expérimentations les plus diverses : cut-up, poésie visuelle, mail art… Sa poésie mécanique, reproductible dans ses ateliers poétiques, le fait sortir du Beau-Style inventé par un écrivain-de-génie, ce qui lui vaut d’être reconnu dans le champ de la poésie expérimentale au tournant du XXe et du XXIe siècle. En particulier pour ses poèmes express, création qu’il définit ainsi dans sa présentation du projet : « Le poème express, dérivé des expérimentations de William Burroughs, est aussi dans mon esprit, cousin des productions dadaïstes – les mots dans un chapeau de Tristan Tzara et les poèmes simultanés d’Hugo Ball – et du ready-made de Marcel Duchamp. Il doit aussi une part de son existence au mouvement Fluxus et à ma lecture des Cahiers de l’Internationale Situationniste » (p. 12-13).
Le poème express opère par prélèvement – sans ciseaux, mais par caviardage à l’encre noire – et détournement de textes relevant de ce qu’on appelait « paralittérature » à la fin du siècle dernier pour constituer un objet à part, estampillé sans pour autant constituer une marchandise : « « Les mots, entre eux, étaient superflus », telle est la phrase subsistant dans une page presque totalement caviardée, prélevée au hasard dans un roman de gare. Sur cette page, apparaissent également deux tampons : « Poème express » et « N° 1000 ». Ainsi s’est récemment achevé ce projet « littéraire » commencé il y a 35 ans, en 1987 » (p. 11).
Ces court-circuitages sont poétiques, non par le mode devenu traditionnel des inventions verbales, mais parce qu’ils donnent à lire et à voir des labyrinthes picturaux/verbaux qui libèrent notre regard pour le plonger dans l’infini des possibles.