Typhaine Garnier, Vide-Grenier, dessins d’Onuma Nemon, éditions Lurlure, 2023, 96 pages, 17 €, ISBN : 979-10-95997-54-2.
Troisième livre de l’auteure, ce Vide-Grenier confirme les qualités de son écriture puisqu’elle y fait de nouveau preuve d’une précision (c’est écrit au mot, voire à la syllabe, près) sans préciosité et parvient à allier intimement comique et gravité. Comme son titre l’indique en filigrane, il s’agit d’évoquer ici tout ce qui reste d’une vie quand on veut – ou quand on doit – faire le vide, ce dernier étant parfois sensible auparavant, tant l’âme des objets inanimés demeure une question en suspens. L’ouvrage est composé en cinq parties (FRAGILE, TOUT-VENANT, NE PAS OUVRIR 1 puis 2, FINS de SÉRIE) et se clôt sur un Index verborum non paginé dont l’intérêt pour le lecteur tient donc davantage aux mini-listes qu’il crée, illustrant une hétérogénéité mi-figue mi-raisin : « Sourire(s) / raté pour l’éternité / pâlots derrière les tubes / bien alignés en boîtes / jaune momie ».
Chaque partie est faite de textes en prose inspirés des petites annonces telles que celles destinées à vendre, louer, donner ou échanger objets, lieux et prestations les plus insolites (d’un carré de plage à un ornemental poulet miniature en passant par une prothèse à ouï-dire, une fin de vie en famille et des bouts à toutes fins), chacune étant suivie de l’indication du lieu géographique où est censé se situer le produit ou le service proposé, lieu existant réellement mais au nom fréquemment drolatique : Mouillepied, Épineuse, Belle Vie en Auge, Toutlemonde, Néant-sur-Yvel et autres Couledoux.
De multiples façons, Typhaine Garnier détourne avec inventivité ce type de texte – par exemple, des bottes tout-terrain, on ignorera la pointure et l’état, l’annonce n’énumérant que les terrains, plutôt inattendus, sur lesquels on pourra les utiliser : « Tant miné d’annélides hautement extensibles que tuberculeux gras au-delà des dahlias, que cidricole bio de golf ou foot selon calibre (…) » ; idem pour le contenu d’une trousse de secours dont on saura en revanche quels bobos elle a servi à soigner, tellement ils sont restés en mémoire pas que du corps. Au fil du livre apparaissent listes, poèmes en vers, chansons et comptines avec glissades incluses d’un énoncé à l’autre, comme les enfants aiment le faire : « faute de grives on mange des merles, gavés de frites on mange de l’herbe, crotte de bique on lange des merdes… ». Ces décalages participent d’un travail sonore plus large (« ci-gît estourbi passereau in pace pas passé de l’autre côté » ; « la vase en vos âmes du moisi vire alors wasabi puis absinthe ») et d’un souci rythmique omniprésent à travers des phrases souvent longues, une seule constituant parfois l’intégralité du texte, dont la syntaxe entrelace subtilement différentes lignes : narrateur extérieur, discours intérieurs des protagonistes, onomatopées, slogans, etc. En outre, l’auteure pioche dans tous les registres de langue, recourt aux néologismes (guirlandelierrée, inimaginoire, minérâle), aux références les plus diverses (de Tintin jusqu’à Marguerite Duras) et entremêle les tonalités : « grand-père y passa une nuit la tête coucou pépé la cordelette ayant lâché avec du scotch on l’a recollé (le sentier) puis raccroché pour quarante ans », l’ensemble de ces procédés créant des effets pour le moins burlesques.
Ainsi, Typhaine Garnier égrène des souvenirs qui vont de l’enfance à l’âge adulte, la forme choisie favorisant la baisse du taux de pathos et l’augmentation de celui d’autodérision – entre autres offres, une combinaison autisme « 100 % cuir caméléon, entrez dans la vie comme si vous n’y étiez pas ! » ou une soirée gourmande 1 pers, « cause rupture prématurée »… Cela étant, cette pudeur malicieuse n’empêche pas l’émotion d’affleurer à plusieurs reprises : « Traces de vies rameutent les mots : ici vagit l’aîné, sous cet ovale précisément le fauteuil relax de grand-mère (la suite naquit et claqua en clinique) » ou bien « ceci pour la Fragilité de tout. »
Quant aux dix dessins d’Onuma Nemon qui ponctuent l’ouvrage, ils se situent à mi-chemin entre abstraction et figuration, à l’image de notre mémoire quand, le temps passant, elle est autant issue des faits tels que nous les avons perçus que de notre imaginaire – comme l’écrivait Céline : « C’est putain le passé, ça fond dans la rêvasserie » (Guerre, Gallimard, 2022). D’ailleurs le titre de cette série, Vracs, en dit long sur ces fatras intimes où l’on est souvent seul à se retrouver mais où d’autres peuvent cependant se reconnaître ici et là, sachant que, selon la formule consacrée, tout doit disparaître, sauf à être transformé par l’écriture.