Sanda Voïca, L’Ère de santé, Atelier rue du soleil, 2023, non folioté (35 poèmes), 40 pages, 12 €.
Un lyrisme se circonscrit à deux mains. Un printemps de l’autocélébration charnelle (longtemps autotélique, puis s’ouvrant à « l’amour […] tripaille quotidienne ») et verbale implose, explose, exulte en ce mois de mai 2022, surtout à son début, où un poème par jour au moins trace son sillon, lâche son sillage, déployant plusieurs couleurs de l’arc-en-terre, ce Clair de terre d’André Breton. Fécondité – que l’accent roumain protège de tout un corps de femme.
Lancé le 1er mai comme le premier vers de cette suite, « S’auto-prier », déjà assez explicite (« sous l’explosion de joie / il s’en-chair-e encore plus »), cosmique bien au-delà de simples racines (« Les trous noirs rhizoment », dès le 2 mai), tandis que le 3 mai « Les poissons montent au ciel » et que l’autrice, celle qui rime avec motrice, s’« empoissonne / de plus en plus » ; après un retour sacerdotal dans un second poème du même jour dans sa Roumanie natale (où elle enseignait le russe) vers de ruisselantes « icônes [dont] beauté et sainteté / ne font qu’un » ; à points mis sur les i, ceux de son patronyme Voïca, points doubles et triples, et triples verticaux, voire sur un y, « j’auto-prie » n’attend pas au-delà du 12 mai pour révéler que « L’envie – si particulière / de jouir / me centre – recentre – décentre / à la fois [pour] Aller au bout de mon désir / et avoir l’écho de son écho […]// Et … un double orgasme : / Orgasmes jumeaux / nés l’un après l’autre, à quelques / dizaines de secondes seulement », bifides comme un y.
« La nature a horreur du vide – on dit. / On le prouve / ou on l’infirme. // Le vide s’adresse au vide – Vérité je vous dis. // Le vide parle au vide. » De tiret en tiret, de vers en vers on comprend mieux pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien selon Leibnitz.
« Entre 0 et 1 / Entre zéro et un » la mathématique n’est jamais assez élémentaire pour une âme de poète.
« Du lit au lit : par le sommeil heureux / Par les songes du jour : / une vie de grâce » : L’Ère de santé substitue aux ères géologiques les privilèges d’une féminité accomplie par nos temps de féminisme anti-sexe – aussi transgressive, titillant nos résistances en rhapsode, que l’a su en prosatrice Marguerite Duras dans ce qui est peut-être, malgré sa brièveté, son meilleur livre : L’Homme assis dans le couloir (1980).
Datés et numérotés, les poèmes, les feuillets se passent de pagination dans cette plaquette très épurée dont un lien à trois attaches renforce le brochage, donnant « envie […] / d’y retourner : / revenir vers le grain d’un certain papier » sensible aux doigts.
© Photo en arrière-plan : Agnès Barthé, « Le banquet 2 », du 14 août au 5 septembre 2020 à l’Atelier rue du soleil.