[Chronique] Jacques CAUDA, Caméra Gréco et autres textes, par Guillaume Basquin

[Chronique] Jacques CAUDA, Caméra Gréco et autres textes, par Guillaume Basquin

septembre 28, 2021
in Category: chronique, livres reçus, UNE
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[Chronique] Jacques CAUDA, Caméra Gréco et autres textes, par Guillaume Basquin

Jacques CAUDA, Caméra Gréco et autres textes, Marest éditeur, en librairie depuis le 23 septembre 2021, 104 pages, 17€, ISBN : 979-10-96535-41-5.

 

Pendant qu’une Christine Angot ouvre le bal (bien mal masqué) de la rentrée « littéraire » avec un énième livre d’autofiction où l’on retrouve le mot « papa » dès la première ligne, Jacques Cauda peint l’air entre les choses, c’est-à-dire le vent qui, seul, permet tous les mouvements de bord (pour reprendre Aby Warburg, que d’ailleurs Cauda cite dans son livre) : « Peindre le vent » est en effet le titre du texte, autrefois publié en revue, qui ouvre ce recueil. Diable ! comment s’y prend-il ? Eh bien par exemple ainsi : « En regardant le voir dans le blanc des yeux ! » C’est ainsi qu’on devient le « maître du vide » : « C’est fait. […] Trou. Vide entre les lignes. Vent. » La vision dans un battement d’aile de papillon : « Je la regarde les yeux brillants sous mes paupières abaissées tandis que s’échappe de moi un souffle brûlant » : Eyes wide shut !

Mais il y a plus, et c’est sans doute ceci qui a intéressé Marest éditeur, « spécialisé » en partie dans les livres sur et autour du cinéma, et dont le logo est un diaphragme de caméra : Caméra Gréco est une vaste méditation sur l’action d’ouvrir, de voir : ouvrir (les yeux) pour voir, pour ça-voir, c’est-à-dire pour savoir : Eyes wide open !

Exemple, parmi tant d’autres : « La nudité, lui dis-je, n’est pas un dévoilement mais un déchirement (de la forme). » Ou bien : « Personne n’a vu que c’est là une clef. Une clef ! Ouvrir avec un trou ! [de diaphragme] Ouvrir quoi ? Le réel ! Comment ? » : en donnant « au regard le trou que fait la peinture dans le réel que l’image a pris pour modèle, et à qui elle se substitue ». On se souvient ici de la formule, faussement attribuée à Bazin, dans le générique de début du Mépris de Godard : « Le cinéma substitue à notre regard un monde qui s’accorde à nos désirs. » Cauda révèle plus loin que jeune il voulut être peintre et cinéaste (« J’ai 15 ans. Je veux être peintre. Cinéaste. Les deux. ») ; il réconcilie dans ce livre ces deux aspirations : « Je suis l’hostie et le pinceau, dit-il face caméra. »

« Il n’y a pas d’image du corps sans un imaginaire des on ouverture » : Cauda rappelle cette très belle formule de Georges Didi-Huberman dans son ouvrage Ouvrir Vénus, avant que de se l’approprier, avec gourmandise, par ses propres moyens : « ô pleine de poils de soies et d’humidité la vie tambourine le ventre ouvert demeure tel un don offert aux vivants et aux morts autrement dit un présent. » Cut. Cachez ce con que je ne saurais voir…

Flash forward : ouvrons le 2e chapitre du livre, « Portrait » : Cauda y déconseille aux jeunes peintres « de faire un nœud à leur fil avant d’entreprendre le premier point qui vient trouer ce plein ». Encore une histoire de trou dans la figure, le réel… « Jaillissement ! »

La peinture, et c’est là sa supériorité définitive sur la photographie qui n’est qu’illusion, possède la vérité [i.e. le réel] dans une âme et un corps : telle est la formule de sa possible résurrection (quand la cinématographie ne peut être que l’enregistrement de la mort au travail) : « La peinture », « gage d’une nouvelle création », « a été créée après le péché » ; Cauda aime s’amuser avec toute une maïeutique catholique dans ses écrits sur la peinture. Un ciel peint peut être « le res de la chose même, la trace eucharistique de la présence réelle. Vérité d’une illusion ». Avenir d’un art…

Cauda, dans tout son livre, oppose la peinture, qui est présence réelle, au cinématographe, qui est un art de la disparition, du rêve : « Le cinéma a été pour Buñuel l’outil idéal qui lui a permis toute sa vie de faire éclater le monde les yeux fermés et de rendre compte du monde les yeux ouverts. » Toute représentation cinématographique rend « intense la présence d’une absence en tant qu’absence ». Rideau (de l’obturateur).

En dernière analyse, Caméra Gréco est une Nouvelle Histoire de l’œil ; et tel est bien le sens de la dédicace que m’a envoyée l’auteur sur la page de titre de son livre : « autres textes ou des histoires de l’œil », où le « o » d’œil est figuré par le diaphragme-logo de l’éditeur :

Cauda clôt son livre avec un dessin de champignon que lui a inspiré la vision d’un court film de Pascal aubier, La Champignonne. On apprend en lisant le texte en regard de ce dessin, « L’Aubier aux doigts de Rose », que ce champignon es une « colomelle ou lépiote ou encore nez de chat », et qu’il « présente un chapeau en forme de seins dont le sommet ressemble étrangement à un tétin » ; j’y vois aussi, pour ma part, un champignon atomique, une (autre) histoire de jaillissement :

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Guillaume Basquin

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