[Libr-relecture] Arnaud-Talhouarn, Une poésie qui en a sous le capot, à propos du Point de voir, d’Olivier Apert

novembre 23, 2022
in Category: chronique, livres reçus, UNE
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[Libr-relecture] Arnaud-Talhouarn, Une poésie qui en a sous le capot, à propos du Point de voir, d’Olivier Apert

Olivier APERT, Le Point de voir, dessin de couverture d’Ivan Messac, éditions Lanskine, novembre 2021, 96 pages, 15€, ISBN : 978-2-35963-060-2. [Lire la chronique de Christophe Stolowicki]

 

Animée par le moteur d’une « 404 break \\ (version familiale 7/8 places – longueur 4,58) » et, à d’autres moments, tractée par une « locomotive BB 9200 (puissance 3800 kW) » cette poésie est bien informée que la musique n’existe pas sans une appréciable puissance motrice : les bogies sur lesquels avancent la locomotive créent le rythme de boogie-woogie que le voyageur entend au cours de ce trajet Paris – Budapest Keleti Pu « tandis que derrière la vitre du wagon-restaurant de l’ultime Orient-Express (…) \\ il contemple sa disparition profilé par l’anonymat \\ du reflet dédoublé ». Ces véhicules puissants ont fait leur preuve, mais il est vrai qu’ils appartiennent aussi au passé : anciens, prestigieux, nimbés d’une aura de légende, et dont l’évocation est empreinte de nostalgie. Ainsi dans ce livre d’Olivier Apert, il semble que tous les voyages ont déjà eu lieu, et que le présent est hanté par leur souvenir : « Nous avons davantage besoin de fantôme présent \\ parce que nous avons besoin d’être hanté ».

La topographie, les personnes évoquées impressionnent par la densité de leur existence, qui n’est cependant faite que de mots. Des indices empruntés au monde réel apparaissent, si ténus et peu nombreux cependant qu’il est impossible de les resituer dans ce monde : ce sont des lieux et des êtres intérieurs, travaillés par la mémoire, et recomposés par elle via son instrument de prédilection, qui est la poésie. Ainsi le cargo DAL REUNION, dans ce voyage vers Madagascar, voguait, et en réalité vogue indéfiniment « selon l’équipage « international », \\ autant dire philippin, enfoui dans la mémoire des soutes ». Flottant sur les eaux durables de la mémoire. Le poème saisit le mouvement du voyage dans la fixité d’une présence permanente du souvenir.

Les souvenirs mais aussi les rêves, les fantasmes jubilatoires ou (plus souvent) inquiétants trouvent dans la poésie le moyen de se couler dans une forme définie. La fluidité qui leur est inhérente s’oppose à la fixité de la forme du texte : dynamique car habité par la mémoire du mouvement ou de la transformation, et cependant fini et immuable. D’où cette impression de mouvement arrêté, ou de mouvement au ralenti. Le mouvement ne porte pas à l’infini : il s’épuise au sein de la mémoire, et tourne en rond, c’est-à-dire en boucle, comme le disque d’un phénakistiscope.

Ce déroulement lent se fait toujours au son d’une musique douce et savante : sur la voix de Chris Rea ou celle de D’Gary, sur la musique (inaudible ?) du Concerto pour cordes, percussions et celesta de Bartok, et d’autres.

Figure centrale, témoin et créateur de ce déroulement lent et musical, « l’homme-seul-avec-lui-même », inquiété par sa mémoire et par ses fantasmes macabres, est sollicité par eux davantage qu’il ne les sollicite : « l’homme-seul-avec-lui-même souriait à sa disparition en noyé pensif ».

L’expression de l’inquiétude cependant se tient ici constamment debout. Elle n’est pas triste, mais plutôt se barde d’un humour solide. Les « 21+1 conseils du Dr. Aperstein », son « Confiteor » sont des gisements d’aphorismes qui suggèrent que l’« homme-seul-avec-lui-même » est fermement installé dans son existence, et bien lesté par un sens de l’humour qui est aussi une cuirasse : « J’ai raté ma vie : on ne m’a jamais aimé pour mon argent. »

Le livre est composé de parties dont les formes sont très diverses : essai, poèmes en vers libre, avec une variété très grande dans les formes poétiques. L’essai pose la question de la lisibilité de la poésie (ou plutôt, de son illisibilité …) et propose en guise de réponse que la question « s’énonçant, s’annule aussitôt », c’est-à-dire qu’il n’y a au fond pas de réponse, mais que la question demeure, insoluble et lancinante. Cette réponse peut sembler décevante, mais la déception est ici nécessaire et même positive, puisqu’elle relance l’incertitude et le désir. L’activité du poète serait semblable à celle de cet homme qui s’acharne à « bêcher la mer ». Est-elle aussi absurde qu’il y paraît ? Peut-être, hormis pour ceux qui comprennent que, sous l’effet de ces gestes, « la mer hurlait qu’elle avait mal ».

Mais il y a une fin à tout et cette fin, comme il se doit, est motorisée. Quand l’homme-seul-avec-lui-même sera lassé de bêcher la mer, alors il saura se procurer « la BMW 2000 ti lux rouge pompier », arbre à cames en tête, celle-là même dont la « picola famiglia » caressait naguère la carrosserie d’une main « gantée de pécari ». Au volant, il escaladera le dos de cette colline de craie en direction du soleil couchant, désireux, avant le plongeon final, de jouir d’un ultime spectacle de coucher de soleil à l’horizon de l’océan Atlantique.

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