[Chronique] Sanda Voïca, Les nuages caressent la terre, par CHRISTOPHE STOLOWICKI

[Chronique] Sanda Voïca, Les nuages caressent la terre, par CHRISTOPHE STOLOWICKI

novembre 29, 2022
in Category: chronique, livres reçus, UNE
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[Chronique] Sanda Voïca, Les nuages caressent la terre, par CHRISTOPHE STOLOWICKI

Sanda Voïca, Les nuages caressent la terre, Les Parallèles croisées, « Les lieux dits », illustré de 12 images d’artistes, été 2022, 96 pages, 18 €.
[Créations : Véronique Sablery, Philippe Boutibonnes, Liviu Șoptelea, Danièle Massu-Marie, Sylvie Durbec, Clara Pop-Dudouit, Ghislaine Lejard, Maurice Marie, Jean-Pierre Stevens, Caroline François-Rubino, Samuel Dudouit, Sanda Voïca]

Intempestive de chagrin en tempête lové, déchaîné, heurtant à faux tous les récifs, Sanda Voïca. Égrappant ses accords en contrepoint de cette claudication hoquetante qui est le trait de génie de Thelonious Monk.

Elle a perdu sa fille Clara un 8 août 2015, des suites d’une longue maladie comme disent les journaux, nantie du néant fécond de vingt et un ans tout juste. La plupart des séquences de poèmes publiées ici sont chargées de quelques mois à un an de deuil, une seule a trois ans de recul.

Les nuages caressent la terre est un titre trompeur quant à son intention, quant à son intensité – pioché dans la séquence la plus à vif du deuil tout récent. À rapprocher peut-être d’une vue d’avion Paris-Bucarest qui rétrécit les distances, fait pont de couleurs et de tendresse. « Sur une motte anodine / oblongue / des taches irrégulières se promènent : / des nuages caressent la terre / pâle sous le soleil. // Des nuages moutonneux / envient des mottes de terre : / ils descendent et les couvrent. / Leur blanc mousseux / et leur jaune grumeleux – / même surface mouvante. // La terre fraîche bouge : / la surface pâle se confond avec / des nuages moussants / descendus pour caresses et baisers / […] // Je transforme la fine lame d’inconnu / bleu-vert-turquoise pâle / qui veut m’aspirer / en longs contours sinueux – / larges détours / d’un escargot géant […] // Arrêt sur ma nuit : / noir et gris / contaminés / par la même présence / par la même absence. // Pluie intérieure : / cordes jaunes qui me traversent / de tête à pieds / lignes de soufre / droites, consistantes / de plus en plus raides […] // Les ruisseaux mous / partant de mon corps / sont de retour en moi. / Devenues cordes jaune-soufre / me brûlent et m’immolent / sans me dissoudre. » Le seul poème du recueil où tout est tenu, lissé par la chape d’un chagrin brut – se réserve de jaillir au final à sa juste mesure.

Ailleurs, « Rebuts et remâchages / De ce qui passe sans passer », domine une écriture excentrée, exorbitée, à « gueule / grande ouverte », où les mots font ménage à part, des mots français vieux de plus de deux siècles de studieuse macération roumaine, rappelant que le français est la seconde patrie des Roumains (Tzara, Cioran, pour n’évoquer qu’eux), comme la France est la seconde patrie du jazz.

Pléonastique jusqu’au totodicible : « Soyez exact, soyez soyeux ! / Soyez celui qui est ».

La parole écartelée, déchiquetée à l’encontre de son sens, en pure antiphrase : « D’échevelée à débridée il n’y a qu’un pas. / De géant écrivain en route. En rut. // Éloignez-vous, mais pas trop. / Étrangez-vous, mais pas trop. / Restez dans votre cercle, plus ou moins étroit – / Mais soyez en rut. / En-rut-ez-vous ! / En route vers un rut. / Ek-phrasisez après. / Ekphrasisez-vous énormément. » On imagine comme le chagrin qui a aboli toute sexualité peut circuler de rut en rut. Mais « On n’est pas sérieux quand on a cinquante-quatre ans », géante vue par des yeux d’enfant.

Nourris des consonances slaves que l’on devine, néologisent à tour d’abats, à bout de bras les mots au sécateur de l’âme.

Des images qui ponctuent ce long poème (exténuant l’idée de recueil), je retiens l’enchevêtrement de dorures, frappées d’un carré et de rectangles noirs, dont émerge l’extrême délicatesse et grâce d’une jambe nue que sa cheville affine et d’un bras, signé Samuel Dudouit ; de Liviu Soptelea La fenêtre dans le cœur d’un ange cyclopéen, enfantin comme peut l’être l’abstrait ; et les Deux soleils de Philippe Boutibonnes, accolés comme deux anneaux d’irradiation, Sanda et Clara.

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