[Chronique] PERRINE LE QUERREC, LES MAINS D’HANNAH, PAR CLAUDE MINIERE

[Chronique] PERRINE LE QUERREC, LES MAINS D’HANNAH, PAR CLAUDE MINIERE

février 16, 2023
in Category: chronique, livres reçus, UNE
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[Chronique] PERRINE LE QUERREC, LES MAINS D’HANNAH, PAR CLAUDE MINIERE

Perrine Le Querrec, Les Mains d’Hannah, Tinbad, février 2023, 72 pages, 19 €, ISBN : 979-10-96415-53-3.

 

Un chantier, un au-revoir

« refoulée restée
en flanc –
(juste) sûr de moi
siècle
ne s’écoulera pas
juste pour
m’instruire. »

Stéphane Mallarmé,
« Pour un tombeau d’Anatole ».

Les feuillets de Mallarmé pour un tombeau d’Anatole appartenaient à un chantier de recherche, un champ de fouilles.  Perrine Le Querrec est allée à la poursuite de Hannah Höch (née en 1889 en Allemagne).  Semblable écho émotionnel.  Mais il y a une grande différence : Stéphane Mallarmé tentait de se mettre en face de la mort prématurée de son fils Anatole ; Perrine Le Querrec entre dans les vies d’une artiste mal connue, la « troublante Hannah Höch », qu’elle accompagne.  Le pari est de taille.

Dans les premières pages de son livre l’auteur expose les attentes et les incertitudes de son pari.  Il lui faudra trouver une méthode (un cheminement) personnelle, « passer sous le niveau habituel des fondations ».  Elle notera bientôt que « Hannah » devient le nom de son « écriture des tentatives et des échecs ». C’est passager.  Le pari est plus que réussi.

Dans un livre récemment traduit en français (aux éditions du Seuil), Melvill, – où est suggéré que l’engagement suicidaire dans la blancheur glacée d’Alan Melvill se prolongerait dans l’œuvre de son fils, l’auteur de Moby-Dick – le romancier Rodrigo Fresan affiche un certain dispositif : accumulation des notes qui disent les difficultés de la marche dans le récit, qui n’aura pas de point final.  Perrine Le Querrec opère autrement : elle fait un montage de coupures, elle fait le portrait d’une vie sur la page.  « Si nous avions manqué quelque chose Hannah attire notre regard.  Regarder.  De nouveau regarder.  Se concentrer.  Ce qui est/ était là, caché […]. La musique des œuvres le voyage des yeux la conjugaison des mains » (page 57).

Comment faire vivre auprès de nous (lecteurs, lectrices) un être, une combattante, oubliée ?  Perrine Le Querrec répond à la question dans le même temps où elle la pose.  Elle répond à la question par recoupements.  Elle n’adopte pas les logiques habituelles de la « biographie » mais accompagne son héroïne dans sa guerre.

Dans l’atelier amoureux et critique de Perrine Le Querrec l’immobilité bouge. Les bruits de l’histoire se font entendre autour de « Hannah Höch habitante de la région du profond silence ».  Le colophon d’édition mentionne que le livre a été composé en Mrs Eaves de corps 12, mais l’œuvre a convoqué une variété d’éléments graphiques afin de ne pas laisser la pensée être canalisée selon un modèle linéaire du récit biographique.  Car des accidents se sont opposés à la liberté illimitée comme Perrine Le Querrec doit composer avec les incidents et accidents qui marquent sa recherche.  Hannah Höch est retournée à la terre en 1978 ?  Elle savait avoir « reçu comme don celui de vivre puis de ranger ». Cette petite phrase – rapportée p. 70 – à elle-même induirait toute une réflexion : est-ce que par un récit on range, ou le chantier reste-t-il infiniment ouvert ?  Il me semble que la dernière page de Les Mains d’Hannah (« Conclure… ») est portée par ce questionnement.

Creuser vous fait courir le risque des éboulements et de l’engloutissement. P. Le Querrec résiste, reprend, creuse le noir vers l’éclaircissement : au revoir.  Le récit est aussi l’histoire d’une relation entre l’écrivain et Hannah, relation que Perrine noue avec tact.

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