[Chronique] Gérard Arseguel, Oeuvres 1957-1987, par Bruno Fern

septembre 6, 2024
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[Chronique] Gérard Arseguel, Oeuvres 1957-1987, par Bruno Fern

Gérard Arseguel, Œuvres 1957-1987, préface de Catherine Soulier, METTRAY éditions, 2024, 556 pages, 30 €, ISBN : 978-2-9544096-7-2.

Avec ce volume les exigeantes éditions METTRAY ont commencé à publier les œuvres complètes de Gérard Arseguel (1938-2020), plus précisément de ses textes parus en revues ou dans les premiers recueils, ici présentés dans l’ordre chronologique. Dans sa passionnante préface, Catherine Soulier rappelle qu’avec d’autres écrivains (Jean Todrani, Joseph Guglielmi, Jean-Jacques Viton et Jean Malrieu) il anima de 1963 à 1974 la revue Manteia, au cours d’une époque de foisonnement théorique mêlant étroitement littérature et politique.

De cette origine « expérimentaliste » témoigne l’importance accordée par Gérard Arseguel à différentes facettes de l’écriture : parmi elles, les relations vers / prose (ponctuée ou pas), bien des textes se situant entre ces deux pôles ; l’inscription dans l’espace de la page : en colonnes alignées à gauche, en blocs justifiés, en jouant sur les retraits, les blancs, etc. ; les équilibres entre le fragmentaire et le flux continu, conformément à certains partis pris : « De ce qu’on appelle réalité et dont il faudrait, paraît-il, tenir compte, je n’ai jamais perçu que le bégaiement lézardé des détails » (Décharges, Manteia no 21-22, 1978) ; le montage et/ou le détournement de prélèvements très variés, de Virgile à Descartes en passant par des journaux, des manuels scolaires et des écrits intimes ; une attention portée sur les diverses formes de répétition ; loin des tenants de la « purification » poétique qui n’en finissent pas de sévir, un souci d’hétérogénéité lexicale qui fait écho à la fascination de l’auteur pour les objets mis au rebut – l’une de ses suites s’intitule Avis de déchets et une autre Sales lambeaux. Par ailleurs, Gérard Arseguel puise tout autant dans des éléments autobiographiques (en particulier, des souvenirs d’enfance en Ariège) que dans ceux issus de la rencontre avec d’autres poètes (Francis Ponge, Jean Tortel) et des plasticiens, notamment le peintre catalan Antoni Tàpies.

Si l’on exclut les tout premiers textes, peu audacieux sur ce plan, le travail de la matière verbale est d’abord ostensible (« tas de mots / tas de momies / tas de momifiés / la bouche / beurrée de merde », Tàpies en croûte, 1976) puis s’estompe peu à peu, une telle évolution ne correspondant aucunement à un retour en arrière, à une restauration prétendument nécessaire après les excès avant-gardistes, comme certains auteurs l’ont fait à partir des années 80. Au contraire, l’œuvre oscille alors entre de longues phrases minutieusement sculptées, dont une seule peut constituer tout le texte, et des poèmes brefs, aux vers parfois réduits à un mot : « Elle / pliée dans ses images / ses cris / la passion de ses sauts, / décharge / s’enroule encore » (Mère-Poule, 1981). Dans les deux cas de figure, Gérard Arseguel aura manifesté sa méfiance envers un lyrisme qui ne montrerait pas, par l’écriture elle-même, à quel point cette dernière ne saurait coïncider adéquatement avec ce qui lui est extérieur : «  Parler n’est donc pas éclairer comme on le croit souvent, ou du moins pas seulement, c’est faire chemin avec l’obscurité, c’est ourler d’un noir moins profond le deuil d’une origine qui sans fin recommence, séduisante et épouvantable, ou l’inverse, dans une proportion jamais stabilisée » (Ce que parler veut dire, 1987). Entre autres motifs d’intérêt, la publication de l’ensemble des textes permet de mieux suivre la remise en question permanente d’un auteur qui, au-delà des modes, n’a pas cédé sur ce qui lui paraissait essentiel, tenant jusqu’au bout une posture de recherche, lui pour lequel la perte fut l’un des fils conducteurs : « Je m’appelle Gérard Lucien Georges. / Je suis né à Toulouse. / To loose ; I lost, lost. »

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