Juliette Penblanc, N’importe où à Stang Blanc, Série discrète éditeur, mai 2024, 59 pages, 14 €, ISBN : 978-2-9576942-7-3.
Ce sont des mots sur un lieu et sur un plan qui dessine une zone dormante :
Stang Blanc est un marais sauvage dans la commune de Scaër. (…)
Stang Blanc est le lieu d’une exécution.
Après la libération de Scaër, accusées de collaboration et d’avoir dénoncé les parachutages du 14 juillet 1944 qui ont entraîné les combats de Kernabat et la mort de 18 résistants, deux femmes[1], Jeannette Laz et Marie-Jeanne Noac’h (« les Jeanne ») ont été arrêtées, tondues, violées, torturées, jugées sommairement et fusillées à Stang Blanc le 4 août 1944. Elles n’ont été réhabilitées qu’en 2018.
L’autrice les a rencontrées par hasard en enquêtant sur la zone de Stang Blanc toute proche de la maison de mes grands-parents. Les prénoms ont immédiatement créé avec le prénom de ma grand-mère une résonance dont j’ai voulu suivre le fil
Mais Stang Blanc est également une zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique, autrement dite Znieff. Autrefois carrière, on y trouve une déchetterie et une piste de trial.
Ainsi, le lieu superpose des strates, le jeu consiste à se glisser sous chaque feuille
Juliette Penblanc suit plusieurs pistes dans son parcours de l’espace de Stang Blanc. La piste historique bien sûr, mais aussi les pistes géologique, zoologique et linguistique. Cette dernière est même dite augurale :
Deux groupes consonantiques complexes auguraux – sourd puis sonore, répétition vocalique de la nasale maternelle et deux finales à l’étouffée. Au centre (la symétrie est parfaite), une brèche où se faufile un raton laveur.
Cette « brèche », le « blanc » qui sépare les deux mots est la matrice de l’inventaire (d’où le raton laveur) des choses qui se sont passées là.
Présence / absence, tel est le mode d’exposition choisi par l’autrice dans ce livre magnifique. D’un côté, le « il y a » qui s’applique aux formations volcaniques et métamorphiques sur lesquelles repose Stang Blanc, aux ornières laissées par les motos, aux espèces endémiques que le lieu abrite et qui sont décrites avec une prédilection pour les mots rares, délectables :
Il y a des cordulies à corps fin, des flûteaux nageants, des narthécies de marais, des grassettes du Portugal.
De l’autre, l’absence (« ce ne sont pas mes souvenirs »), l’oubli (« celle qui s’efface aussi », « Jeanne ne laisse pas beaucoup de traces de son passage sur terre ») et la résistance opposée par la réalité à « toute tentative d’aplatissement » par l’écriture.
Énoncés sans lourdeur mais avec une puissance d’évocation qui impressionne, les événements de l’été 1944 dans toute leur horreur se réduisent à peu de mots.
le texte n’est pas là pout déranger les mortes
Stang Blanc n’a aucun avis, ni sur les résistants, ni sur les droseras, ni sur les batraciens, ni sur les œufs, les crânes tondus, pas plus que sur le granite et son extraction.
D’une certaine manière, « rien n’aura eu lieu que le lieu ».
[1] Et un jeune homme, Yvon Toulgouat, résistant du maquis FTP de Scaër, exécuté parce qu’il avait une réputation de délateur et déclaré non coupable par un jugement ultérieur. Son nom n’apparaît pas sur la stèle de Stang Blanc.