Pascal Boulanger, L’Amour malgré, recueil illustré des peintures de l’artiste Nora Boulanger-Hirsch, éditions Voix d’Encre, octobre 2024, 116 pages, 19 €, ISBN : 978-2-35128-222-9.
Le recueil du poète Pascal Boulanger, L’Amour malgré, forme une unité se composant de quatre tableaux, tels des chants dont chacun aurait son propre rythme et sa propre mélodie.
Le premier, qui donne son nom au recueil, est une longue anaphore énonçant, semblable à l’expression de l’infini insaisissable de l’amour, nombre des attributs de celui-ci. On a rarement mieux approché la nature tant mystérieuse qu’essentielle de ce qui est tout à la fois sentiment et énergie, omniprésence et insatiabilité. L’extrême pointe avec laquelle le poète porte son attention sur l’amour est à l’image de ce dernier qui, lui-même, aiguise le regard sur monde.
Comparable à l’amour lui-même, le mouvement se fait tantôt héraclitéen avec en son sein une opposition dialectique, tantôt le rythme d’un battement ininterrompu semblable à celui du cœur qui peut accélérer, ralentir, mais sans jamais atteindre l’arrêt. S’y vit ainsi le va-et-vient entre bassesse et force, ennui et légèreté, renoncement et inventivité, entrelacement infini des possibilités offertes par la vie, celle-ci sans cesse enrichie de la force d’éveil et d’étonnement universellement déployée.
Le recueil se poursuit avec Amants & poètes, où le lecteur, expérimentant le dire du poète, se sent se réenraciner dans le monde. Avec des accents magnifiques qui nous font penser, parfois, à Jean Giono – notamment celui du Chant du monde ; que ceux qui en doutent lisent entre autres les pages 46 et 47 –, Pascal Boulanger donne à entendre le chant de l’incertain, de l’indicible, de l’inaccessible mais avec une certitude indestructible, celle de la beauté du monde sensible. Aussi affirme-t-il : « Je ne suis pas dans le monde mais du monde, avec et sans le nombre. / Tout ça dans le silence parlant du monde » ou encore « la lumière comme ouverture et accueille naïf et aimant de la beauté du monde. » De même, nous retrouvons ce lien intrinsèque, jamais rompu dans l’histoire, entre poésie et philosophie. Quand le Verbe se fait étonnement et éveil ainsi qu’expression de l’intuition de l’énergie unique et intemporelle traversant la totalité du réel, la longue généalogie allant d’Héraclite à Hölderlin, de Heidegger à René Char n’est pas finie : « Si la poésie est mode de vie / tout est proche & proche / se fait lointain » ; « La surprise d’être là / quand se déchire la pellicule du spectacle / voyeur voyant par l’oreille / la force cachée qui agit / du dedans, / Se déploie / chez l’insecte comme au fond des mers. »
La poésie demeure cet éveil des sens, du regard, de l’être, à l’essence du monde.
En chiffonnier du sens, qui poursuit cet ancrage dans la totalité, s’attache à chanter l’éveil des cinq sens pour conserver, garder, faire entrer l’éphémère dans l’intemporel. L’essentiel de ce qui fait œuvre humaine est énoncé : « il n’est d’heure heureuse qu’étonnée » et s’ouvrir au monde est s’ouvrir à la joie : « « L’indice de la beauté survivra / comme vérité voilée / de brumes sanglantes / & d’aubes blanches », de même : « qu’importe […] que l’indéfini devienne l’indifférent […] j’ai la bible de l’océan / l’abîme & le gué. ». Comme cela a été dit plus haut, il n’est nul fossé entre les activités philosophique et poétique quand le cheminement sait plonger dans le plus profond, le plus essentiel. Pascal Boulanger le rappelle magnifiquement par son refus nietzschéen de tout affaissement : « le même océan traverse la pensée / parfois des yeux se lèvent tôt & disent oui. » ; « La pensée on devrait – pour bien faire – / ne l’écrire qu’en poème ».
Enfin, les dernières pages se composent d’une Fugue, une série de tercets exprimant l’ironie à l’égard de ceux que nous pourrions nommer les êtres du ressentiment, qui refuseront sans nul doute d’admettre que « la lumière se prouve elle-même ». Nombre de vers ont des accents proches des Moralistes du XVIIe qu’admirait tant Nietzsche, à savoir l’analyse de la psychologie humaine mise à nue avec humour et précision. Nous ne pourrons faire mieux que d’illustrer notre propos par quelques-unes des pépites qui s’y trouvent : « Ceux qui cherchent un maître l’auront / parmi les ronces et les chardons / dans le vacarme des paroles sans acte… » ; « le vulgaire naît à chaque instant / mais la grâce se venge dans l’enfance… » ; « Pourquoi s’éterniser négativement ? / l’océan sort indemne / de l’enfermement… » et enfin, cette vérité intemporelle illustrant bien l’esprit grégaire : « La pensée en dehors des consignes / ne pense plus / la liberté leur semble une prison… ».
Recueil de l’affranchissement, du chant du monde et de la beauté, L’amour malgré ouvre des perspectives en même temps que le cœur humain.
C’est pourquoi les tableaux qui l’accompagnent, œuvres de la jeune artiste Nora Boulanger-Hirsch, reflètent le mystère du cœur humain et du lien à autrui, à travers des teintes chaudes et une imprécision des lignes qui forcent l’œil à pénétrer loin dans l’être.