[Création] Daniel Cabanis, Optique de la fuite en avant, mouvement n° 2

Mouvement n° 2

Bianca Saldine / Danse de la proie et du prédateur II / aquarelle numérique

Il y a un mois, nous avons reçu un lot de cent-trente nourrissons dont nous n’avions pas l’usage. De toute évidence : une erreur de livraison, bug dans la chaîne de commande informatisée. J’ai dit sec au transporteur de remballer. Ce salaud n’a rien voulu savoir. Demerdenzizich ! a-t-il dit (comme quoi il se trompait bel et bien de client) et il a filé avec son gros-cul espagnol. La marchandise était en piteux état : affamée, défraîchie, morose, cacateuse. Il a fallu parer au plus pressé : j’ai demandé aux caristes de passer le tout au karcher en mode vas-y mollo, après quoi mes secrétaires ont pu donner le sein. Dès que les bambins ont eu repris du poil, on les a reconditionnés sur lits de frisures de cellophane dans des cagettes en carton neuves et on a cherché à les fourguer (même à bas prix) pour amortir nos frais. Pas évident. Les revendeurs fins de série et autres pros du déstockage n’en voulaient pas. C’est du périssable sous huit, ça vaut pas un pek, ta camelote, disaient-ils. Rugueux, les gars ; pas charitables, carrément pédophobes. Le Syndicat des Commerces de Viandes m’a lui aussi envoyé paître, la traçabilité de mes tendrons de veau n’étant pas établie (et pour cause). Enfin, la mafia des restaurateurs chinois a poliment rejeté mon offre : Désolé, on a déjà des excédents de chien. Congelez ! j’ai dit. Pas rentable, a tranché Fils du Dragon (qu’il aille se faire empailler). Découragé, je n’ai même pas essayé les sites de vente en ligne. J’ai réuni mon staff et, la mort dans l’âme, on a pris la décision qui s’imposait, de jeter les produits invendus à la benne. C’est ce qu’on a fait. Discrètement. La nuit. On a forcé les grilles de la déchetterie, et alea jacta. Or, dès le lendemain la police est venue m’arrêter. Dur dur ! Ce sont les Chinois qui m’ont DONNÉ.