[Chronique] André Rougier, À Antonio TABUCCHI – in memoriam (1943-2012) [2e extrait inédit de « Un pas de côté »]

août 26, 2022
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[Chronique]  André Rougier, À Antonio TABUCCHI – in memoriam (1943-2012) [2e extrait inédit de « Un pas de côté »]

« Et j’ai pensé à la vie, qui est subreptice, et qui rarement laisse
apparaître ses raisons à la surface, car son vrai parcours
se situe en profondeur, comme un fleuve karstique » (Tabucchi)

Je pense, alors que, hypocrites ou sincères, simples ou ampoulés, les hommages affluent du monde entier dans leur superbe inutilité, à notre dernière rencontre après un hommage et une signature à la Maison de l’Amérique Latine, à cette longue discussion mêlant dans d’inégales proportions trois langues romanes, à l’adresse électronique qui tant servit par la suite, griffonnée au dos du livre que j’emportais et qui aura été le dernier de vous que j’eus le bonheur de lire.

Je pense à la phrase de Mallarmé affirmant qu’il « n’y a pas de prose », qu’il « n’existe que des vers plus ou moins rythmés », et qui tant vaut pour vos écrits.
Je pense à votre langue, qui depuis si longtemps incarne pour moi la plus vraie des demeures, halte et lisière, abri et horizon, et bien plus encore – mais pas entrepôt à outils, ah ça non, jamais!

Je revois le scintillement des mots, leur poussée abrupte ne gérant que ses propres lois mais visant, de par ce mouvement même, l’être comme la chose partout et toujours pourvus d’Histoire telle qu’elle se glisse entre les sédiments du langage en ces lieux et temps dont la métaphore est l’absolution, non pas dans le rôle pauvre et souvent pervers que lui assigne la théorie, mais dans le sens le plus large, le plus secret et définitif qui a toujours été celui par lequel elle vint à notre rencontre, là où les mots débordent de toutes parts leur signification, où leur mêlée incendiaire s’inscrit bien moins dans l’appropriation et la vérité des termes et des valeurs que dans le mouvement qui les mobilise et les accouple, là où elle se fait substance et non pas attribut, là où rien n’est infidèle, mensonger ou feint, mais sourdement mûri dans les entrailles d’une mémoire assurée désormais de son héritage.
Je pensais, Antonio, aux mots de Cocteau qui disait, me semble-t-il, qu’il « n’y a pas d’amour, seulement des preuves d’amour » et qui font, puisqu’ils sont vrais, que je n’ai plus rien à y ajouter.

2012

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