[Chronique] Christophe ESNAULT, Vivre, 1-40, par Guillaume Basquin

octobre 5, 2022
in Category: chronique, livres reçus, UNE
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[Chronique] Christophe ESNAULT, Vivre, 1-40, par Guillaume Basquin

Christophe ESNAULT, Vivre, 1-40, éditions des Rues et des Bois, été 2022, 50 pages, 14€, ISBN : 978-2-9569476-8-4.

C’est dans le fragment que Christophe Esnault, né poète, est le meilleur. Il a tendance à se perdre dans les longues phrases, alors que le style fragmentaire lui permet toutes les rages (rage de vivre, ainsi que l’indique le titre), tous les mitraillages, en montage-cut : « Apprendre à se mouvoir dans le ciment. Les situations inextricables sont amies des sangles. […] Dentition refaite avec une chaîne de vélo. » La fibre poétique n’est pas la même que la romanesque, et vice versa. Le roman ne permet pas de tuer son lecteur ; le poème, si ! Voyez donc cet enchaînement d’un tableau l’autre (car le livre est composé de 40 tableaux, probable réminiscence chiffrée de 4:48 Psychose de Sarah Kane, livre qui a le plus marqué l’auteur selon ses dires) : « Boxer, seule rhétorique » ; puis : « Être le combat » ; et afin de : « Fusiller avec des phrases définitives. »

Comme la pièce de Sarah Kane, Vivre, 1-40 se présente sous la forme d’un monologue intérieur introspectif d’un auteur atteint de dépression psychotique récurrente. Sauf que le suicide n’est pas prévu à 4h48 comme chez l’auteure britannique, mais sans cesse repoussé par l’écriture (le précédent opus de l’auteur  ne s’appelle-t-il pas Aorte adorée ?), puisque « rien n’existe réellement hors la douleur ». Pour passer la nuit, « taper le mot solitude sur un moteur de recherche ».

Le souvenir de la poésie surréaliste inspire et dope notre auteur : « Attendre son tour à la caisse le corps recouvert d’écailles argentées. » Ou bien : « Compter les morceaux blancs dans la boîte avant de sucrer son café froid. » Et aussi : « Au bord des bûches fendues le sang jaune d’un merle blessé. » Pourtant, c’est dans la description des déchirures du réel que l’auteur excelle le mieux : « Haine de soi et du monde gravée au canif sur la cabane du pendu. Carnivore albinos lâché à l’entrée d’un terrier. » Coupez ! (Ceci, pour l’adaptation cinématographique par Harmony Korine.)

Je n’ai pas encore dit que le dire de Christophe Esnault abolit toute marque de ponctuation, sauf le point. Manière de trancher, couper net : « Écorcher jusqu’au sang et sous les croûtes. » Cut.

Pourtant, rien n’est perdu puisque « toute vie n’a pas encore été confisquée ». C’est pourquoi saint Christophe dans son propre désert continue encore et encore à « Écrire un livre et planter un arbre oui mais s’en tenir là ». S’en tenant là, fidèle scribe, il n’arrête pas d’écrire, espérant « une petite heure d’écoute ». Vers la fin, c’est la tentation baudelairienne : « Deux panneaux opposés dirigent vers Anywhere. » Anywhere out of  the world, bien sûr !…

Enfin, mon âme fait explosion, et sagement elle me crie :
« N’importe où ! n’importe où ! pourvu que ce soit hors du monde !

« L’assertion foudroie qui écoute » ? Allez donc y voir par vous même, si vous ne me voulez pas croire.

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Guillaume Basquin

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