[Chronique], Layla Hajji, Des djinns à la psychanalyse, de Jalil Bennani. Une réflexion sur le statut de la folie au Maroc, du Moyen-Âge à nos jours

octobre 28, 2022
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[Chronique], Layla Hajji, Des djinns à la psychanalyse, de Jalil Bennani.  Une réflexion sur le statut de la folie au Maroc, du Moyen-Âge à nos jours

Jalil Bennani, Des djinns à la psychanalyse. Nouvelle approche des pratiques traditionnelles et contemporaines, Les Presses du Réel/Al Dante essais, printemps 2022, 168 pages, 17€, ISBN : 978-2-37896-300-2.

 

Voici un ouvrage qui ne manquera pas d’intéresser toute personne en quête d’une vision claire et approfondie de l’histoire de la folie et des troubles mentaux au Maroc.
Dans cet essai brillant, dense et très documenté, le psychiatre et psychanalyste Jalil Bennani propose une réflexion sur l’évolution du traitement des troubles psychiques en terres arabo-musulmanes et plus particulièrement au Maroc, en prenant en compte toutes les influences, qu’il s’agisse des traditions et des méthodes de soin traditionnelles ou de l’héritage colonial. Parmi les nombreuses questions que le lecteur curieux peut se poser, l’une des plus essentielles auxquelles cet ouvrage répond avec clarté et brio est la suivante : Comment intégrer les connaissances extra-occidentales à celles de la psychiatrie et de la psychanalyse ?

A travers cette anthropologie de la folie de l’époque d’Avicenne à nos jours, Jalil Bennani bat en brèche de nombreuses idées reçues sur la réalité historique du traitement de la folie au Maroc. En faisant le récit de l’évolution du rapport de la société aux aliénés et des soins qui leur étaient prodigués selon les époques, l’auteur déconstruit le discours conventionnel fabriqué par l’idéologie coloniale (entre autres) et qui consiste à dire que les troubles mentaux ont toujours reçu un traitement magico-religieux non fondé rationnellement dans les pays du Maghreb.

 

La médecine arabe et son apport oublié à la psychiatrie moderne

Ce discours empreint de préjugés et trop largement relayé s’est en partie construit à partir des travaux de psychiatres français à l’époque du Protectorat, notamment les célèbres psychiatres de l’époque coloniale Lwoff et Sérieux, chargés de mission au Maroc en 1910.
Or, bien qu’il y ait eu une régression des sciences et de la médecine dans le monde arabe, le discours occidental sur le traitement de la folie et des troubles mentaux dans ces pays et au Maroc omet de dire tout l’apport de la médecine arabe au temps de son apogée à la psychiatrie moderne. L’apport majeur de la médecine arabe étant d’avoir proposé une “approche rationnelle de la maladie”, grâce à des esprits savants comme Avicenne ou Al-Râzi, pour ne citer que ceux-là.

 

Le maristane, 1ère institution hospitalière en pays musulman

Existant depuis le XIIème siècle, les maristanes étaient des lieux de vie et de soins conçus pour ceux qu’on appelait “les aliénés”. “Les maristanes étaient célébrés par les rois et visités par les médecins, les philosophes et les musiciens. Ces institutions contribuaient à la gloire et au prestige des dynasties régnantes du XIIème au XIVème siècles au Maghreb”, nous dit l’auteur.
Le tout premier maristane aurait été édifié au IXème  siècle par Haroun Ar-Rachid (786-809) à Baghdad et eut pour médecin-chef le grand médecin philosophe rationaliste Al-Râzi (865-923). Il y eut par la suite des maristanes dans de nombreuses villes musulmanes : à Damas, Jérusalem, Alexandrie, Le Caire, Fès, Algésiras et Cordoue.

Il est remarquable que la civilisation arabo-musulmane ait pu concevoir la nécessité de lieux spécialement dédiés au soin des malades mentaux. « Nombre de maristanes, écrit Jalil Bennani, se caractérisaient par une belle architecture traditionnelle, un confort visant le bien-être des pensionnaires […]. Les jardins et les cours d’eau leur conféraient un faste et un côté féérique se voulant en harmonie avec le prestige des dynasties qui les avaient créés. D’autres maristanes, beaucoup plus modestes, constituaient des lieux d’exclusion des handicapés, des pauvres, des malades atteints d’épidémies ou encore de troubles mentaux dangereux » (p. 39).

Un maristane célèbre au Maroc construit dans la ville de Fès est le maristane de Sidi Frej. Ce lieu est actuellement en train d’être restauré dans le cadre d’un vaste programme de réhabilitation de la ville de Fès.

© MAP

Situé au centre de la médina de Fès, près de la place Nejjarine, tout près du mausolée de Moulay Idriss, Sidi Frej est composé d’un rez-de-chaussée avec étage où étaient hospitalisés séparément les hommes et les femmes. Une cour intérieure servant de lieu de promenade aux pensionnaires y a été conçue dans la pure tradition architecturale andalouse de l’époque. Un bassin central et deux vasques de marbre contenaient une eau, dite miraculeuse, pour les cigognes !
Car, aux côtés des aliénés, malades mentaux, personnes vulnérables ou rejetées par les leurs, le maristane s’occupait également de certains animaux, dont les cigognes blessées.
“Il est même probable, précise Jalil Bennani, que c’est par l’intermédiaire des asiles créés par les musulmans en Espagne que l’idée de l’assistance des aliénés s’est propagée ultérieurement dans le reste du monde chrétien.”

Mais ces lieux qui étaient au départ des abris bien construits et aménagés spécialement pour les aliénés, et qui prenaient largement en compte la dimension magico-religieuse, se sont petit à petit détériorés et ont finalement été récupérés – et dénaturés- par des psychiatres occidentaux qui en ont fait des asiles psychiatriques où les soins étaient médicalisés.

 

La psychiatrie coloniale : des théories ethnocentriques qui ont
cherché à faire table rase de l’apport de la médecine arabe
à la compréhension des troubles mentaux

Jalil Bennani aborde ensuite le sujet de la psychiatrie coloniale et de son influence sur la pratique psychiatrique au Maghreb mais aussi sur le rapport à la folie. De nombreux psychiatres et sociologues français venus au Maghreb à l’époque coloniale ont cherché à justifier la colonisation en élaborant des théories qui servaient leur idéologie d’une prétendue supériorité intellectuelle des colonisateurs. Ainsi,  “la notion de « primitif », ayant permis à Lévy Bruhl de décrire des peuples primitifs, a-t-elle subi des dérives et des usages politiques en devenant un jugement sur l’inégalité des cultures », écrit l’auteur. Les psychiatres coloniaux se sont ainsi appuyés sur les travaux de l’anthropologue pour conclure au « primitivisme » dans la société traditionnelle.
Bien qu’il y ait eu une vraie évolution dans la pratique de la psychiatrie depuis le Protectorat, ainsi qu’une totale remise en question de ces thèses ethnocentriques servant l’idéologie coloniale, l’auteur regrette qu’il n’y ait pas au Maroc une psychiatrie qui prenne en compte les spécificités de la culture marocaine et qui fasse une lecture des symptômes en fonction du contexte socio-culturel. La psychiatrie telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui est totalement calquée sur la pratique psychiatrique européenne ainsi que sur la classification américaine contenue dans le DSM (Manuel Diagnostique et Statistique des troubles mentaux). De même, le cadre hospitalier et la prise en charge psychothérapique sont les mêmes que ceux de l’Occident.

Avec la venue au Maroc du psychanalyste français René Laforgue, une réflexion sur les spécificités culturelles est amorcée, notamment avec ses élèves. Le clinicien qu’il fut rejetait le positivisme du XIXème siècle et prônait un retour à l’affectivité et à la religion, influencé par la pensée allemande de Fichte et Heidegger. Malheureusement, son approche anti-scientiste qui aurait pu présenter un intérêt pour la réhabilitation de la tradition magico-religieuse demeurait cantonnée à la micro-société française au Maroc. Laforgue n’a pas eu de pratique psychanalytique avec des patients marocains qui lui aurait ainsi permis d’avoir une pensée plus fidèle à la réalité du vécu de ces patients et qui soit non entachée de préjugés ethniques. C’est bien plus tard, au cours des années 80, lors du retour d’étudiants marocains en psychiatrie et psychologie dans leur pays natal (Jalil Bennani en fait partie) que la psychanalyse sera véritablement introduite au Maroc.

Dans son livre, Jalil Bennani aborde aussi le sujet des migrants et dénonce les dysfonctionnements de l’institution médicale, en France notamment, où les soignants ont la même attitude de méfiance, de rejet et de peur que les citoyens eux-mêmes, face à des individus qui ont besoin de reconnaissance et de soutien. Ainsi, on confie les migrants à des ethnopsychiatres censés pouvoir décrypter leurs symptômes, des psychiatres spécialisés dans les troubles des migrants, ce que Jalil Bennani qualifie de nouvelle forme d’exclusion.

L’homme blanc occidental rejette ainsi tout ce qui demeure caché et refoulé en lui, nous dit Jalil Bennani, et projette cette part qu’il refuse de reconnaître en lui-même sur ces personnes en exil.

 

Frantz Fanon, un psychiatre révolutionnaire

L’auteur nous présente une figure incontournable de la pensée anticoloniale, le psychiatre et militant anticolonialiste martiniquais Frantz Fanon. L’apport de Fanon à la psychiatrie post-coloniale est considérable puisqu’il offre un éclairage nouveau des grands concepts philosophiques, psychiatriques et psychanalytiques en les dégageant de l’ethnocentrisme occidental. Il propose ainsi une lecture révolutionnaire de concepts hégéliens, freudiens ou lacaniens en les adaptant à la conscience colonisée. Fanon invente une phénoménologie postcoloniale à la mesure de l’intellectuel engagé et de terrain qu’il était et qui, par sa théorie politique radicale, était dans l’urgence de combattre le discours biologico-racial du colonialisme.
« L’éclairage qu’apporte Frantz Fanon sur les rapports entre folie et culture dans le contexte idéologique et politique garde toute sa pertinence. Il appartient à une époque qui a marqué la psychiatrie occidentale par la remise en question de son rôle politique, la contestation de son pouvoir et les luttes pour la réinsertion du fou dans la société » (p. 88).

Frantz Fanon a vivement critiqué la psychiatrie coloniale qui, sous couvert de nommer et reconnaître les spécificités de l’Autre, a créé des classifications racistes qui n’ont fait que creuser les différences et renforcer les préjugés à l’égard des peuples colonisés.
Naturalisé algérien et devenu l’emblème de la décolonisation à travers son engagement dans la guerre d’Algérie aux côtés du FLN, c’est avant tout avec ses yeux de psychiatre et de soignant qu’il aborde la situation des relations inter-raciales dans ce pays qui l’accueille. Il œuvre directement pour la révolution algérienne. Il est finalement emporté prématurément par une leucémie, à l’âge de 36 ans, comme consumé par l’ampleur de son combat.

Plus tard, l’ethnopsychiatrie n’a pas dérogé à ce risque de classifier et marginaliser les étrangers. Comment construire une pratique de l’ethnopsychiatrie qui soit authentique et qui prenne en compte l’altérité véritable, au-delà de toute stigmatisation de l’autre, migrant, réfugié ou étranger ?

Apport de la psychanalyse à la psychiatrie

Jalil Bennani aborde également le sujet de l’antipsychiatrie, courant désaliéniste qui remet en cause la pratique traditionnelle de la psychiatrie et dont les revendications et les luttes rappellent la pensée postcoloniale. En effet, tout comme la pensée postcoloniale, ce courant lancé en Angleterre par Cooper et Laing reconsidère, selon l’auteur “la validité des diagnostics, la médicalisation des soins et les procédures d’internement”. Le médecin psychiatre et psychanalyste français Tony Lainé (1930-1992), grande figure de la psychiatrie alternative désaliéniste, a lutté contre les enfermements de toutes sortes et a milité pour une reconnaissance pleine et entière de la folie grâce à une position analytique d’écoute et d’accueil de la souffrance. Au Maroc, le psychiatre Abdallah Ziou Ziou initie en 1981 une expérience désaliéniste à l’hôpital de Berrechid en s’inspirant des expérimentations de l’antipsychiatrie italienne: il introduit au sein même de l’hôpital des artistes, des écrivains, des peintres qui partagent durant une semaine leurs talents avec les malades de l’hôpital. Cette expérience aussi brève que marquante a permis aux gens de la ville de s’immerger dans les pratiques populaires du traitement de la maladie mentale au Maroc.

Selon J. Bennani, la psychanalyse aurait eu une influence positive sur la psychiatrie en y insufflant de l’humanisme et en amenant cette dernière à prendre en compte la subjectivité des patients. “L’influence de la psychanalyse sur la psychiatrie a plus sûrement favorisé la remise en question des conditions de sa pratique et joué un rôle important, en réhabilitant, au sens de la pratique de soin, la relation interpersonnelle”, écrit-il.

En ce sens, l’antipsychiatrie s’appuie sur certains principes psychanalytiques qui font voler en éclats la barrière rigide qui sépare les soignants et les soignés dans la pratique traditionnelle de la psychiatrie. La psychanalyse tire sa force de ce qu’elle est à la fois une approche rigoureuse avec des bases théoriques solides mais qu’elle est aussi totalement à l’écoute des références symboliques et culturelles de l’analysant, et ce, même s’il s’agit de références traditionnelles inspirées de pratiques magico-religieuses. A la différence de la psychiatrie, elle ne réduit pas le patient à un simple diagnostic. Au contraire, l’intérêt de la psychanalyse est d’ouvrir des espaces d’élaboration et de symbolisation, en se mettant à l’écoute de ce qui est formulé ainsi que des nuances et de la polysémie du langage utilisé.

Articulation du discours des croyances au discours de la science

Dans le dernier chapitre de son livre, Jalil Bennani traite de la question essentielle de la tradition magico-religieuse et des croyances culturelles sous le prisme de la science et plus particulièrement de la cure analytique. Il propose des pistes de réflexion permettant d’articuler le discours des croyances au discours de la science et au langage. Cette approche le conduit à prendre en compte l’apport des traditions au Maghreb et des avancées théoriques élaborées en Occident.

La psychiatrie telle que pratiquée au Maroc ne prend pas en considération le contexte culturel et social dans lequel émergent des croyances liées à la tradition, les plus courantes étant d’associer le mal-être de l’individu à un ensorcellement ou encore au fait d’être « frappé par un djinn ». La psychiatrie relègue ces croyances au rang de superstition et ne fait pas de place véritable au discours des familles et des personnes dont les croyances sont imprégnées par la tradition magico-religieuse. Il en découle que « le patient reste attaché à ses croyances » car « en les niant, elles ne s’effacent pas, elles demeurent cachées ou refoulées » (p.145).
Jalil Bennani parle ainsi de « rupture épistémologique par rapport au champ des croyances ».  Il en résulte, selon l’auteur, un retour du refoulé, une résurgence des troubles de la personne qui se croit atteinte et dont le discours n’est pas reconnu et pris en compte dans le traitement proposé par la psychiatrie et qui se cantonne souvent à une médication adaptée aux classifications tirées du DSM (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux).

La particularité du psychanalyste par rapport au psychiatre, insiste Jalil Bennani, est qu’il donne la priorité à la parole du patient et ce à quoi cette parole donne accès. Il n’est pas là pour affirmer un savoir scientifique comme le psychiatre mais pour faire de la place à la symbolique culturelle de ses patients. L’auteur nous dit que « la  psychanalyse laisse place à tous les savoirs. Elle ne contourne pas le langage mais s’y appuie. Le langage est présent dans le discours du patient, quel que soit le lieu où le sujet parle. » (p. 146). A la différence de la psychiatrie, la psychanalyse offre un espace d’écoute et d’accueil de la parole du patient, dans lequel ce dernier peut laisser libre cours à sa pensée, élaborer autour de ses croyances sans craindre le jugement ou la stigmatisation. C’est avant tout la parole et à travers elle les références culturelles ainsi que le système symbolique de l’analysant qui sont pris en compte et accueillis par le psychanalyste, offrant une voie d’accès à l’inconscient.
“Le psychanalyste doit faire abstraction de ce qu’il sait pour écouter de manière nouvelle chaque patient”, nous dit Jalil Bennani.
Et c’est donc grâce à cette altérité incarnée par le psychanalyste que le patient est amené à changer de posture et de regard sur ses troubles, passant du statut de victime impuissante à la merci de forces qui le dépassent à celui d’acteur responsable de sa vie et de son destin.

Enfin, le livre de Jalil Bennani a le mérite de ne pas éluder une question fondamentale en lien avec la cure analytique qui est celle de la langue utilisée lors de la cure.

Dans la culture marocaine, qui est travaillée par plusieurs langues, le psychanalyste ne peut faire abstraction de toutes les subtilités qui accompagnent l’usage d’une langue ou d’une autre : l’arabe ou le berbère étant souvent les langues de l’intime et des affects, le français davantage la langue de la raison. Et si cette catégorisation peut être remise en cause après des décennies de liens historiques et culturels entre le Maghreb et l’Europe, il est bon de rappeler que l’universel n’est atteignable qu’à travers la prise en compte de la pluralité des cultures, des langues, des croyances et des coutumes, dans un monde qui ne cesse de se complexifier.

“Cette diversité, restée longtemps silencieuse des décennies après les indépendances, porte en elle aujourd’hui de grands potentiels et de grands espoirs de renouvellement des idées, de dépassement des conflits, de modernisation de ses ressources », écrit l’auteur dans les dernières pages de son essai, ouvrant ainsi les portes de l’espoir et de l’optimisme pour le psychiatre si concerné par la problématique de l’exil rencontrée par les réfugiés et les migrants au XXIème siècle.

Extraits

“Comment expliquer cette utilisation de la langue de l’oppresseur dans la littérature par l’ancien colonisé ? En se réappropriant cette langue comme instrument du pouvoir, ce dernier lui confère un usage révolutionnaire. Sa réélaboration lui confère un pouvoir réparateur et une promesse d’émancipation.” […]

Dans un autre registre, la psychanalyse donne la possibilité de dépasser le trauma et d’analyser la dénégation. A côté de l’immémoriel, les événements imprévus qui surviennent dans nos vies peuvent permettre d’ouvrir un champ de liberté et une sortie du traumatisme. Le psychanalyste est ici interpellé sur les nouvelles rencontres qui ouvrent au devenir, à l’indéterminé, au renouveau. Les événements contingents peuvent changer le cours de l’histoire. Le destin n’est pas déterminé pour toujours. Le but de la psychanalyse est non seulement de faire advenir le souvenir, mais de parvenir à ce que le sujet puisse construire de nouveau, au-delà de la mémoire et des résistances dues au refoulement” (p.58-59).

“Il s’agit aujourd’hui de repenser le modèle occidental sur lequel fonctionne la psychiatrie au Maghreb. Parallèlement, cette critique peut avoir des retombées sur la psychiatrie européenne en relativisant ses diagnostics et ses traitements. Il convient d’aller plus loin en proposant une double “déconstruction”: la réappropriation de la psychiatrie occidentale débarrassée de l’idéologie coloniale, la prise en compte des pratiques traditionnelles dévêtues de tout charlatanisme et toute exploitation obscurantiste auprès des personnes en souffrance psychique. On peut dès lors ne pas opposer les notions de “tradition” et “modernité” mais les articuler en cherchant leur complémentarité. La modernité est un acte de réinterprétation et en tant que telle permet de faire que la tradition reste vivante” (p. 74).

“Le DSM a été imposé aux praticiens. Il a pris de l’expansion dans un contexte de développement de la pharmacologie, de grilles d’adéquation entre les catégories du DSM et l’administration des médicament, de rentabilité […]

Il ne s’agit nullement ici de nier l’effet des médicaments dans la diminution des angoisses, des insomnies, des dépressions, des délires et nombre de symptômes psychiatriques. C’est plutôt leur usage excessif qui est en question. Leur rôle ne doit être ni déprécié, ni surévalué. On ne doit pas oublier que la souffrance psychique appelle une demande d’écoute et de dialogue. Toute surestimation de l’impact des médicaments se fait aux dépens de cette écoute, quand elle ne vient pas compenser l’absence de disponibilité des thérapeutes ou le manque de personnel soignant. La prescription de médicaments ne peut se penser en dehors de la relation intersubjective propre à l’être humain” (p. 118).

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1 comment

  1. Amal Jaïdi Hajji
    Reply

    Cet article est brillant. Il synthétise bien le contenu du dernier ouvrage de Jalil Bennani. Le sujet est central dans l’approche des soins psychologiques, et psychiatriques à apporter aux personnes en souffrance. Une lecture la plus juste possible de décryptage du mal être psychique grâce à l’intervention de la psychanalyse qui tient compte de la dimension culturelle, traditionnelle et de son poids dans l’inconscient collectif des individus. La psychiatrie moderne a beaucoup à gagner en puisant dans la psychanalyse pour apporter des méthodes de soins adaptés et réellement thérapeutiques.

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