[Chronique] Tristan FELIX, Grimoire des foudres, par Guillaume Basquin

[Chronique] Tristan FELIX, Grimoire des foudres, par Guillaume Basquin

juillet 25, 2023
in Category: chronique, livres reçus, UNE
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[Chronique] Tristan FELIX, Grimoire des foudres, par Guillaume Basquin

Tristan FELIX, Grimoire des foudres, PhB éditions, été 2023, 96 pages, 10 €, ISBN : 979-10-93732-69-5.

 

Dans ce nouveau recueil poétique de Tristan Felix, comme le plus souvent chez elle, tout va par trois : 3 parties composées 3×12 contes (ou plutôt, contelets magiques) pour la « Veillée d’Hypnos », 3×7 nocturnes (pour l’orgue de Dominique Preschez), et 3×7 passes composées de 3 espèces pour « Cache-morts ». Tristan Felix croit en la numérologie en poésie, soit en la géométrie par les nombres ; son écriture est une pratique magique, c’est-à-dire médiumnique : alchimie du verbe !

Un grimoire, selon le dictionnaire, est « un livre de magie comprenant habituellement des instructions sur la façon de lancer des sorts, créer des enchantements, se livrer à la divination, fabriquer des objets magiques tels que les talismans et les amulettes ou encore invoquer des entités surnaturelles : anges, démons, esprits ou divinités ».

La première partie, la plus touffue, répond totalement à cette recherche divinatoire, puisque chaque contelet, se suffisant en lui-même (comme dans Ovaine), contient une histoire fantastique avec une introduction, un développement et une chute, le tout sur 3×3 lignes et pas une de plus. Bien sûr, « grimoire » rime avec « miroir » ; et je saisis cette occasion pour citer en entier l’un des plus beaux contelets de cette partie, à mes yeux :

   … impossible à briser, le miroir retenait tout en son eau
trouble. Quiconque le consultait repartait éclaboussé d’une
boue parfois légère, parfois épaisse comme une croûte
d’éléphant. La mémoire faisait de l’ombre à la curiosité.
Les petites filles ne se coiffèrent plus et leurs cheveux firent
des nœuds. La reine ne se lava plus et sa peau se parche-
mina. Seul le vieux roi aveugle pouvait y glisser ses mains
pour caresser à l’infini les lambeaux d’Ophélie et les filan-
dreux nuages qui n’étaient déjà plus eux-mêmes …

Impossible, selon moi, de couper dans cet extrait où il n’y a aucun gras : tout est squelette du poème et armature du sens. Qu’on me donne la première pierre pour la jeter contre ce roc de sens sculpté afin d’en enlever le non-nécessaire… Dites-moi quelle
phrase (rab)ôter ? quel mot ? Pour ma part, je décline toute responsabilité dans cet attentat à l’art. La poésie de Tristan Felix est irréductible.

Parfois, on trouve des réminiscences de Baudelaire, le poète préféré de l’auteure, comme ici : « … souvent, pour s’amuser, les enfants du voyage fracassent leurs têtes contre d’autres têtes d’enfant ». Écho évident de ces vers de L’Albatros : « Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage / Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers ». Presque toujours, la magie évite la tragédie : « Il ne pourrait sauver son amour que s’il se tuait à son tour. Lorsqu’il tira, la fée dirigea l’arme contre elle … »

D’autres fois, on atteint à la poésie pure : « Il aperçut dans l’eau les nuages qui avançaient à grands coups de mâchoires avant de se dissoudre en loques. » Même, quand c’est conté, la poète y arrive aussi : « … lorsque la dernière vague eut léché le corps du naufragé et déposé son linceul de sel, sortit de l’arène la phosphorescence d’un petit peuple de crevettes qui l’entour d’une ligne si lumineuse qu’on l’aperçut de la voûte étoilée. » Et c’est alors la Grande Image : « Peu à peu l’orbe oblong de ce qui fut peut-être un danseur étoile, tant il s’était lové avec grâce, rejoignit la Constellation des Noyades, dont les longs bras saisissent au passage toute vie qui s’échoue. »

Toujours, chez Tristan Felix, la « morale » de ses fables est une leçon de vie en osmose (ou non-osmose, alors qu’elle devrait l’être) avec la Nature : qui la maltraite, s’y pique !

La 2e partie du recueil est un hommage au poète-romancier-compositeur Dominique Preschez ; un dessin médiumnique lui est consacré, ou plutôt à son orgue, que voici :

L’occasion pour la poète de jouer de son grimoire : « chacun de tes vaisseaux charrie l’ire / joyeuse qui fuse des tuyaux / toute tragédie n’est qu’impatience ». Tristan jongle, tisse : « Orgue, poème, film et dessin se sont ainsi croisés et recroisés. »

dans les bas-fonds pourraves des vases
c’est là pourtant que de grandes orgues
éclosent en mugissements lents

Preschez s’en est allé ; mais des « tubes éployés » de son orgue « sortent une musique à peine issue du vent ». Tout est léger, léger, comme son âme envolée. Le reste est silence.

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Guillaume Basquin

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