[News] News du dimanche

septembre 1, 2024
in Category: chronique, livres reçus, News, UNE
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[News] News du dimanche

LIBR-CRITIQUE a ralenti en juillet-août, mais avec 10 posts tout de même. En cette reprise, une sélection de livres qui viennent de paraître, des Libr-événements… Mais auparavant, la UNE de Claude Minière…

 

UNE : Chateaubriand extra-terrestre /Claude Minière/

                                                                     « Asseyez-vous sur le tronc de l’arbre abattu
au fond des bois : si dans l’oubli profond de vous-même,
dans votre immobilité, dans votre silence vous ne trouvez pas l’infini,
il est inutile  de vous égarer aux rivages du Gange. »

CHATEAUBRIAND, Mémoires d’outre-tombe

 

Je rentre après avoir dit au-revoir aux deux jeunes chênes tout éveillés dans l’avant-printemps et rendu hommage à ceux qui se réveilleront charpente.  Ils ont l’air de frémir dans l’immobilité mais en fait ils jouissent d’une immense liberté.  Comme les écrivains.  C’est toujours la question qui s’associe à ma lecture quand j’ai ouvert le livre d’un vrai écrivain : Quel usage fait-il de sa liberté ?

Girodet De Roussy-Trioson Anne-Louis (1767-1824). Versailles, château de Versailles et de Trianon. MV5668.

François René de Chateaubriand est d’une extraordinaire liberté.  Il parle aux rois, aux députés, aux arbres, aux comtesses déchues et encore belles, aux hirondelles.  Aux socialistes.  Il a beaucoup vu, beaucoup retenu, il prévoit les conséquences d’une mondialisation.  Il a d’abord demandé « Comment trouver place sur une terre agrandie par la puissance d’ubiquité, et rétrécie par les petites proportions d’un globe souillé partout ? »  Nous sommes en septembre 1841, François René vivra encore six ans mais il veut conclure ses fabuleux Mémoires.  Il médite sur l’avenir, il voit la seule réponse logique à la question qu’il vient de formuler : « Il ne resterait qu’à demander à la science le moyen de changer de planète ».

Changer de planète : vous voulez que je vous dise ?  Chateaubriand est un extra-terrestre.

 

Libr-livres reçus : viennent de paraître…

Mathieu LARNAUDIE, Trash Vortex, Actes Sud, 440 pages, 23 €.

Laure GAUTHIER, Mélusine reloaded, Corti, 118 pages, 17 €.

David CHRISTOFFEL, Poèmes de bureau, Lanskine, coll. « Poche », 80 pages, 10 €.

Gabriel GAUTHIER, Space, Corti, 248 pages, 21 €.

Celebrity cafe, n° 6, A.D.L.M.N. / Les Presses du réel, 352 pages, 18 €.

 

Notes de lecture /Fabrice Thumerel/

Mathieu LARNAUDIE, Trash Vortex, Actes Sud, 440 pages, 23 €.

Présentation éditoriale. Quelque chose est en train de craquer. Face à l’angoisse apocalyptique qui hante notre temps, les puissants de ce monde se préparent eux aussi à l’effondrement. Certains croient assurer leur survie en s’offrant de luxueux bunkers, d’autres capitalisent sur le désastre qu’ils ont contribué à provoquer.
Eugénie Valier, héritière déclinante d’un grand groupe industriel, se résigne quant à elle à une mort prochaine. Et puisque l’humanité court à sa perte, elle décide de démanteler l’empire érigé par son père au lieu de le léguer à son fils. L’intégralité de sa fortune ira à une fondation destinée à nettoyer les “trash vortex”, ces vastes tourbillons marins qui charrient tous les déchets dérivant à la surface des océans. Mais cette mission, a priori vertueuse, sert en fait un projet de liquidation générale, auquel se mêle un inavouable règlement de comptes familial.
Avec cette satire virtuose des élites économiques, politiques, et des multiples acteurs qui gravitent autour d’elles, Mathieu Larnaudie nous emporte dans une traversée vertigineuse de notre époque, et signe le grand roman d’une civilisation fascinée par sa propre fin. Que reste-t-il à transmettre lorsque demain est incertain ?

Terra Incognita /FT/

Qu’y a-t-il de plus fascinant, œuvrer à l’anéantissement du monde ancien
ou participer à l’édification d’un monde à venir ? (p. 109).

Avec acharnement – si l’on peut dire – Mathieu Larnaudie poursuit son analyse des puissants et de leurs mythologies. Trash Vortex se présente sous la forme d’un drame en cinq actes, tout comme Acharnement (2012), qui constituait le pendant des Effondrés (2010) : après la chute des croyances ultra-libérales, celle des croyances dans le système de représentation politico-médiatique. Dans ces deux romans critiques, notre monde déchu est un monde de chutes : celles des suicidaires, seules réponses – désespérées ! – à une civilisation qui, pour avoir horreur du vide, favorise la saturation des discours et des images ; celles des « effondrés », ces ex-winners que la faillite a parfois poussés au suicide. Avec Les Effondrés, c’étaient les faitiches (Latour) du capitalisme qui chutaient, c’est-à-dire ces constructions savantes érigées en totems : l’autorégulation du marché, la loi des chiffres, la logique des intérêts privés…

Si, jusqu’à présent, le nouvel ordre économique s’appuyait sur la fable de la fin de l’Histoire, cette dernière étant conçue à la fois comme sortie de l’ordre chronologique et avènement d’un âge d’or immuable, aujourd’hui domine une nouvelle représentation fallacieuse chez les maîtres-du-monde, a fortiori chez les libertariens, et qui plus est chez les transhumanistes : la Terre est morte, vive un nouvel eldorado ! Et en attendant, il leur importe de se réfugier dans une propriété postapocalyptique. Ce que ne manque pas de faire un entrepreneur de la Silicon Valley, Morlaiter, via Terra Viva, la société que dirige Eugénie Valier, beaucoup plus pessimiste pour sa part : « Il n’y aura plus rien à recommencer, et nous attendrons la fin sans même savoir comment finir » (p. 70).

Nous avons bel et bien affaire ici au roman critique le plus ambitieux de l’auteur, dont la réussite réside dans le parallèle entre les dimensions politiques, économiques, écologiques et stylistiques, indépendamment de ses références à une actualité brûlante (du scandale Bettencourt à la démission de Nicolas Hulot et l’affaire Benalla) : les tourbillons de déchets marins font écho aux vortex destructeurs des affaires qui régissent le monde capitaliste, à la spirale du Toujours-plus qui emporte les puissants… le tout étant évoqué en de puissantes phrases dont les volutes nous transportent.

 

► Laure GAUTHIER, Mélusine reloaded, Corti, 118 pages, 17 €.

Présentation éditoriale. Dans un monde tout juste en avance sur le nôtre, réapparaît Mélusine, la fée serpent. Elle ressurgit au coin d’une rue, dans une ville aseptisée où les images omniprésentes et savamment orchestrées cachent le dessèchement réel des paysages et le contrôle des passions. C’est un monde post-démocratique et multi-pollué, où se multiplient les Décharges Solides à Ciel Ouvert (DSCO), les Zones Touristiques Augmentées (ZTA), les forêts dans lesquelles ne subsistent que des tiques, des escargots géants et quelques moineaux communs. Les systèmes de contrôle ont généré une langue atrophiée envahie d’acronymes. Les comités en tout genre organisent, quoi qu’il en coûte, le maintien artificiel des images pour le divertissement des Touristes Traversants (TT). Mélusine revient lutter. Elle propose de nouvelles pratiques, imagine de nouvelles rives habitables. Dans ce roman, à la fois fable féministe, dystopie écologique et conte futuriste, Laure Gauthier réinvente la légende de la fée hybride pour dresser, avec humour et profondeur, un miroir déformant de notre monde tout en esquissant un autre chemin possible.

Une contre-dystopie poétique /FT/

« Longtemps la société s’était construite en s’ouvrant et en classant, désormais elle périclitait en se fermant et en ignorant le vivant » (p. 84). Tel est le constat qui condense le point de départ de la dystopie : nous sommes plongés dans un monde augmenté mais fermé – à la nature comme à l’humanité. Qu’est-ce qu’un univers artificiel replié sur ses certitudes, qui emprisonne le vivant dans une pensée sloganisée ? Une société mortifère qui fait prévaloir le simulacre à des fins économiques – dans laquelle les poètes ne sont plus que « chantres de l’originalité de surface » (10). La charge contre un monde factice auquel n’échappent même pas les librairies ne manque pas de piment.

Mais pour son premier « roman », l’autrice n’en reste pas là : son projet consiste avant tout à proposer une contre-dystopie, genre beaucoup moins couru. Femme des passages, Mélusine va opérer des mutations par capillarité ; aux flux capitalistes, elle oppose une fluidité toute poétique. Et c’est ici que le lecteur peut s’interroger : séparé de la nature comme parlant, le poète est-il celui qui noue une nouvelle idylle avec le monde, ne serait-ce que partielle ? Un être-au-monde spontané est-il possible ? Ce qui est certain c’est que les lecteurs habitués à la poésie expérimentale de Laure Gauthier peuvent être gênés par la positivité de la vision utopique et par l’inspiration écopoétique en vogue. /FT/

 

Libr-événements

 

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Fabrice Thumerel

Critique et chercheur international spécialisé dans le contemporain (littérature et sciences humaines).

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