Guillaume Marie, Exposition de reptiles vivants, Lanskine, Sabrina Deshayes pour le graphisme de couverture, mai 2021, 72 pages, 14€, ISBN : 978-2-35963-053-4.
Personne n’aime les serpents. Mais le titre court en tête de page en page, en tête de poème ou de poème continué, né un poète nouveau : « 10 mai t’as mis ta peau de paon / ton aile est bleue ce soir et ton trait blanc / sous l’œil a l’air d’être à la craie / ta main me serre et ton doigt prend / le pli d’un pou sur mon cuir nu // ce soir t’as vue sur mes bas jours / 10 mai c’est la vraie nuit qui vient / or là moi je suis sur la rive / où mon cou d’oie tente à son tour / de voir mais bon je reste à ma boue », ce soir t’as vue sur mes bajoues. Les amours animales de Guillaume Marie, qu’octosyllabique mais d’un écart ou deux signe la poésie, que d’un rejet, que tout en monosyllabes, que savamment rimée jetant la rime aux orties, que d’un chant amébée signe la poésie, font lever une stupeur familière, celle que sur ses premiers lecteurs ou spectateurs a dû provoquer Tristan Tzara. Mais sur Tzara le retournement de tempo est complet.
Les bandes d’étourneaux ont une manière de voler qui leur est propre et semble soumise à une tactique uniforme et régulière, telle que serait celle d’une troupe disciplinée, obéissant avec précision à la voix d’un seul chef. C’est à la voix de l’instinct que les étourneaux obéissent, et leur instinct les pousse à se rapprocher toujours du centre du peloton, tandis que la rapidité de leur vol […]. Au chant V de Maldoror l’éthologie est née, il faudra aux scientifiques un bon demi-siècle pour s’en saisir. Mais sur Ducasse aussi le retournement, l’aplanissement du désir, étale alcyonien par mer d’huile où choient des œufs de roc, sont ici complets.
Quand absurde est par trop absurde et encore bien trop signifiant. Quand en retrait de toutes choses nommées n’est pas l’innommé mais une leçon de choses. Quand leçon de choses est au petit chose ce qu’au varon un iguane pelé. Oui, à cet âge là descendu, monté par le petit train des choses d’un jardin d’acclimatation fantôme dont le climat moqueur, d’un long suspens se réserve de parler au cœur. Oui, là. Où craille une émotion.
Bal masqué, carnet de bal à balles à blanc.
Et gros et long comme le nez fors la figure au milieu de nulle part, comme si la mystification, le cocasse canular était un jeu d’enfant que la pornographie a effleuré de son aile plutôt qu’une équation à cinq chiffres, à trois inconnues, au pénultième degré, dans ces amours s’insère, tombe pavé sur la plage le poème central. Non pas éthologique, ni de parade animale quand la pariade a fait long feu, mais taxonomique au plus étale, Linné y reconnaîtrait les siens, voire Aristote, Jarry c’est sûr. (Ni Darwin ni Lorentz.) « Tous les reptiles ont une queue et même les tortues la queue des caméléons dépasse rarement les dix douze centimètres […] ce qui caractérise le plus les reptiles est leur grande paresse. Ils restent toute la journée sans rien faire. Ce sont des animaux qui ne mangent que tous les deux jours et qui s’accouplent une fois par an. La seule chose qu’ils ont à faire c’est de muer et encore uniquement les serpents. […] L’animal qu’on appelle Monstre ou héloderme suspect est un animal partout détesté et surtout chez lui en Amérique où les gens meurent en le touchant. Chez nous il n’existe qu’en photo et encore de mauvaise qualité. »
Et dès lors, l’exposition de reptiles vivants, peu mythiques à tics, s’en colle un gramme, de dialogue sur internet (« qui es-tu / quelle est ta position préférée // et autres détails / prenons rendez-vous // quelle est la fréquence / de tes rapports // as-tu une photo de toi / sous la douche »), peut monter et s’épandre en jeu vidéo un pur poème ultra- contemporain (« comme un panorama de tes tentatives d’amour / même les plus anciennes / mais conduites par tes adversaires / et les règles seraient compliquées par les paramètres géographiques de tes trajets quotidiens mesurés par avance / qui te donneraient une façon d’avancer tes pions / mais en fonction de la forme de ton dé »), se déployer le panoramique d’une vie (« d’énormes mains se pencheraient pour le manipuler / ou pour déplacer tout à coup des pans entiers de ton paysage »), rêve sur rêve d’enfant remontés dans tout leur gigantisme – ce qui n’empêche pas la lucidité : « (Pour sauver les girafes / on ment à la populace / on met des cous aux limaces / et on les peint en jaune) ». Ni la poésie de s’ancrer : « faut-il qu’il m’en souvienne […] /// nous disions à la mer : monte, connasse ».
Guillaume Marie a beaucoup de camarades poètes, il les tutoie, avec lui la poésie a pris un coup d’envoi, un envol qui gère faux l’ivraie, un clic en bottes de sept lieux dits.
Et une flopée d’hexasyllabes monosyllabiques, purs ou mâchés (« La nuit je ne dors pas / je m’en vais dans les airs / je suis Nils et son oie / j’ai joue ronde et plume blanche […] // de là-haut je les vois / ceux dont la peau les gratte / ceux qui se lèvent et pissent / ceux qui saouls tombent mal / ceux qui logent à Ypres / à Hem à Ath / à Ors ceux qu’un rêve ronge » comme à Ur ou à Jérimadeth).
Guillaume Marie, né à Coutances, journaliste à Paris. Travaillant à l’ordi quand la nuit tombe et qu’à bruits nouveaux – jamais le silence ne bruit.
La matière de la couverture est de Sabrina Deshayes, en pointillé reptile.