[Livres] Libr-kaléidoscope (1), par Fabrice Thumerel

décembre 6, 2020
in Category: chronique, livres reçus, UNE
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[Livres] Libr-kaléidoscope (1), par Fabrice Thumerel

Annus horribilis / annus libris… Si la lecture ne sauve rien ni personne (sic !), du moins elle maintient l’esprit en éveil : en cette fin d’année, LIBR-CRITIQUE vous propose un RV hebdomadaire, non pas sur les Beaux-Livres, mais sur les vrais livres – ceux qui rendent libr&critiques… Afin de franchir au mieux le passage de 2020 à 2021, on pourra découvrir les publications reçues très récemment ou une sélection de celles qu’on n’a pas encore pu évoquer…

► TXT, n° 34 : « Travelangue », éditions Lurlure, Caen, 27/11/2020, 200 pages, 19 €, ISBN : 979-10-95997-30-6. [n° 32 ; n° 33]
[N° 32, par Fabrice Thumerel dans La Revue des revues]

Présentation éditoriale. Avec ce numéro « Travelangue », TXT propose un périple à travers langues donnant une large place aux auteurs étrangers.
On y rencontre un jeune poète russe, Egor Zaïtsev, le brésilien Ricardo Domeneck, accompagné d’Augusto dos Anjos (1884-1914), ainsi que des pièces inédites en français de Raymond Federman.
On croisera aussi quelques « anciens » de TXT comme Christian Prigent, Philippe Boutibonnes ou le très rare Onuma Nemon.
On y découvrira des auteurs plus jeunes d’horizons divers, mais que rassemble une même exigence formelle, comme Stéphane Batsal, Jean-Paul Honoré ou Marine Forestier.
Le thème du voyage structure l’ensemble du numéro, ponctué de rubriques farcesques écrites à plusieurs mains : proverbes et dictons, circuits touristiques, stages poétiques, coutumes locales,  « craductions » utiles, etc.
Le voyage, aussi, comme métaphore d’une écriture exploratrice qui ne se contente pas du prêt-à-parler ambiant…

Les auteurs
Augusto do Anjos, Stéphane Batsal, Antoine Boute, Philippe Boutibonnes, Sonia Chiambretto, Ricardo Domeneck, Raymond Federman, Bruno Fern, Marine Forestier, Typhaine Garnier, Jean-Paul Honoré, Christian Jalma, Philippe Labaune, Ettore Labbate, Adrien Lafille, Pierre Le Pillouër, Jean-Claude Mattrat, Paul Morris, Onuma Nemon, Patrick Quérillacq, Christian Prigent, Yoann Thommerel, Thierry Weyd, Egor Zaytsev.

En bref. Ce qui ressort de cette livraison stimulante et jouissive, c’est une traversée des langues en droite ligne du « langagement » des années 70-80 – à commencer par celles de la domination.
La bonne nouvelle, donc, TXT renouvelle son engagement, il-faut-vivre-avec-son-temps, n’est-ce pas, se mettant au diapason du discours écolo en vogue – mais pas sûr que les Bellez’âmes apprécient : « Interroger, ausculter, diagnostiquer, comprendre les mutations climatiques, TXT s’y emploie en publiant des poèmes labellisés « Éco ». Résolument pédagogos, ils permettent à un lectorat élargi de s’immerger jusqu’au cou dans les grands enjeux poétiques et climatiques d’aujourd’hui : glouglou. »
Vous en reprendrez bien un p’tit dernier pour la route :

« STAGE POÉSIE, NATURE & TRADITIONS

Partez à la découverte de vous-même
explorez votre rapport intime à la Nature

volcans enneigés, lacs turquoises, steppes à perte de vue, laissez-vous envoûter par la richesse de cette terre grandiose et repartez avec votre poème laqué en papier mâché (A4 ou miniature selon taille bagage) dans la pure tradition locale. »

 

► Michèle MÉTAIL, Mono-multi-logues, hors-textes & publications orales (1973-2019), Les Presses du réel/Al dante, novembre 2020, 312 pages, ISBN : 978-2-37896-163-3.

Présentation éditoriale. Ce livre rassemble les textes (inédits ou aujourd’hui introuvables) conçus comme partitions des publications orales de Michèle Métail depuis 1973.

Michèle Métail (née en 1950 à Paris) est poètesse, figure essentielle de la poésie expérimentale et sonore. Elle diffuse, depuis 1973, ses textes au cours de « publications orales », la projection du mot dans l’espace représentant le « stade ultime de l’écriture », son travail étant avant tout celui d’une « présence dans la langue ». Diapositives et bande-son accompagnent parfois ses lectures (plus de 500, en France et à l’étranger), entre oralité et visuel, où elle travaille l’allitération et l’assonance comme un parasitage, un brouillage du sens.
Auteure d’une thèse de doctorat sur les formes poétiques de la Chine ancienne, elle traduit des poètes chinois et allemands contemporains (Ursula Krechel, Christiane Schulz, Thomas Kling, Walter Thümler…), ainsi que de nombreux poètes chinois anciens.
Entrée à l’OuLiPo en 1975, Michèle Métail a pris ses distances vis-à-vis du groupe. Elle a notamment fondé en 1979 l’association « Dixit » avec Bernard Heidsieck, puis, en 1995, avec le compositeur Louis Roquin, l’association « Les arts contigus », qui a organisé plusieurs manifestations inter-disciplinaires.
Michèle Métail a reçu le Prix littéraire Bernard Heidsieck – Centre Pompidou (prix d’honneur) en 2018.

En bref. Désormais, nous pouvons disposer des textes-partitions de Michèle Métail (pièces microphoniques, listes, ready-made, etc.), inédits ou introuvables. Dont le gigantexte n° 3 que, dans la somme qu’elle a dirigée en 2019 – La Poésie en trois dimensions -, Anne-Christine Royère décrit ainsi : « Matière d’images (1996) active quant à lui […] l’histoire des supports de l’écrit, en s’inscrivant dans la lignée du travail typographique des avant-gardes futuristes et dadaïstes. […] Ces feuilles sont autant d’affiches réalisées à l’aide d’un « pochoir industriel » […]. Le texte, consacré à la typographie, utilise celle-ci de manière expressive, joue sur la taille et la couleur de la police comme sur la linéarisation/délinéarisation des mots » (p. 170).

 

► Stéphane VIGNY, PLAIRE, entretien de Stéphane Vigny avec Éva Prouteau, textes de Jean-Michel Espitallier et de Charles Pennequin [français / anglais], Les Presses du réel, novembre 2020, 160 pages, 25 €, ISBN : 978-2-9535809-5-2.

Présentation éditoriale. Première édition monographique de Stéphane Vigny, pensée comme un objet à plusieurs entrées de lecture (la musique, l’architecture, le design, le cinéma ou encore l’érotisme), tout comme le sont les sculptures de l’artiste.
L’ouvrage réunit d’une part un ensemble représentatif de reproductions d’œuvres, d’images de références comme outils de travail de l’artiste. Ce vaste ensemble documente vingt années de pratique permettant de parcourir son évolution à travers différents contextes de présentation. Mais cette monographie est aussi pensée comme un espace à investir telle une exposition où des pièces, encore inédites, viennent s’immiscer discrètement. Le lecteur est invité à une promenade indisciplinée à travers un parcours oscillant entre des œuvres passées, des œuvres inédites, des vues d’expositons, des images d’archive ponctuées de textes de Jean-Michel Espitallier, Charles Pennequin et d’un entretien entre Éva Prouteau et Stéphane Vigny.
À travers un usage répété du prélèvement et du réemploi, Stéphane Vigny (né en 1977, vit et travaille à Paris) développe une pratique sculpturale de l’assemblage. Par association de formes préexistantes, cette manière de faire de la sculpture se fonde sur l’idée que toute matière préformée, quel que soit son lieu d’extraction, est potentiellement utilisable. Jouant tantôt de la surdimension tantôt de la sousdimension, il associe des gestes, des techniques, des matériaux et des savoir-faire en mettant l’accent sur l’usage fertile mais aussi dissonant de la collision hétéroclite des motifs et des formes ainsi que sur l’assimilation d’objets issus d’autres champs que celui de l’art. La curiosité de Stéphane Vigny pour l’hétérogénéité lui offre un champ d’expérimentations et de découvertes infinies qu’il aime explorer sans cesse.

En bref. Ce volume, enrichi de nombreuses illustrations (on en trouvera 151 sur le site de l’artiste), arrive à point nommé pour présenter une œuvre singulière : « L’art de Stéphane Vigny renouvelle en permanence ses rapports à l’objet, et aux actions de réemploi, d’appropriation et de mixage directement rattachées à la pratique de l’assemblage » (E. Prouteau). Stéphane Vigny, drôle de zigue s’il en est, si l’on en croit Charles Pennequin : « Il voulait rester en bons termes avec lui-même, et c’est d’ailleurs pour cela qu’il avait décidé d’être deux »… Ce patronyme de Vigny, Jean-Michel Espitallier le fait parler en propre : « le rythme, c’est la transe, hypnose et ivresse »…

► Séverine DAUCOURT, Noire substance, éditions Lanskine, automne 2020, 36 pages, 13 €, ISBN : 978-2-35963-035-0.

Présentation éditoriale. La maladie de Parkinson est caractérisée par la disparition de neurones dans une zone particulière du cerveau appelée « substance noire » ou « Locus Niger » . Noire substance est un texte, le résidu d’une expérience intime : la mort programmée du père de l’autrice, touché par cette pathologie. Il tente de relater cet étrange voyage au cours duquel le moi se délite et où le corps seul finit par compter et imposer sa façon de parler.
Même s’il intègre à la narration les détails des conséquences de la dégénérescence, ce récit n’est que la vérité de celle qui l’a écrit en cherchant, comme dans ses précédents livres, à ne jamais mentir, à saisir l’abrupt de la vie pour y débusquer aussi l’improbable douceur.

En bref. Ce huis clos dramatique est scandé par un compte à rebours tragique : de « Onze » (« Il se croit mort depuis trois ans ») jusque « Un » (« Au funérarium, le défunt n’appartient plus aux siens »)… Entre ces deux bornes, un récit distancié qui n’omet rien de ce qu’endurent des figures génériques : « le vieux », « l’épouse », « la fille »…

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Fabrice Thumerel

Critique et chercheur international spécialisé dans le contemporain (littérature et sciences humaines).

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