Perrine LE QUERREC, Warglyphes, éditions Doucey, coll. « Soleil noir », janvier 2023, 84 pages, 14 €, ISBN : 978-2-36229-436-5. [Première chronique sur Warglyphes]
On se souvient de cette phrase d’Anatole France, « On croit mourir pour la patrie ; on meurt pour des industriels » ; Perrine Le Querrec, prolifique poétesse (elle publie non moins de trois livres cet hiver 2023), semble s’en souvenir aussi, et contre tous les va-t’en-guerre de salons (ils sont légion : pas de nom…), procède à une description froide et précise de ce que produit la guerre : essentiellement des corps cassés, broyés, qu’on rechigne en général à montrer : « Ne pas montrer de cadavres Ne pas montrer de défaite / Ne pas montrer d’enfant… »
On se souvient du livre salutaire de Sophie Ristelhueber, Fait, qui montrait les véritables cicatrices de la guerre en Irak, quand les médias l’avaient déréalisée :
On se rappelle du travail de montage d’archives des cinéastes italiens du réemploi, Yervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi, qui, dans Oh ! Uomo, avaient refilmé, en les recadrant et ralentissant, puis coloriant au pochoir, les images du désastre intégral que fut la Première Guerre mondiale avec son cortège de corps brisés :
En littérature, et plus encore en poésie, ce travail documentaire est plus rare. Perrine Le Querrec s’y colle, après avoir regardé des films de guerre (fictions ? documentaires ? Je n’en sais rien) ; d’où le titre, comme un leitmotiv, de certains de ses « poèmes » : « L’œil de la caméra ». La vision est sèche, chirurgicale (comme les célèbres frappes qui ne le sont en rien, en réalité) : « incendie d’une ferme / animaux calcinés / haut-parleur / attroupement, discours, foule compacte » : humanité, comment ça va avec la douleur ? « On ne mesure plus en mètres / mais en cadavres // Il ne reste que des dents / le sol jonché d’ivoire ».
Seul Bertolt Brecht, dans son ABC de la guerre, s’était par le passé attaqué à documenter la guerre, ses effets, par la « poésie » ; Le Querrec va plus loin (tout simplement parce que la puissance de destruction a encore augmenté), décrivant froidement les effets de l’une des deux explosions atomiques réelles : « Jusqu’à 9,5 [km] murs renversés […] Le souffle est encore assez puissant pour tuer les personnes à l’extérieur……………. Explosion des poumons jusqu’à 18,6 [km] les rues jonchées…………. débris…………… vitres……….. tuiles……….. 10 à 20 minutes après la déflagration aspirés dans la dépression de la tige du champignon atomique retombent au sol…………… » La littérature comme document.
La guerre « classique », de tranchées, est non moins horrible : « Lentement la victoire / Un mètre un mort » : « dans la fosse », il n’y a que des « héros ».
Un glyphe, en archéologie, est un « trait gravé en creux » ; Warglyphes relève d’un tel tracé :
Oui, le monde est devenu intégralement spectaculaire, c’est-à-dire que tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation : « Devant la télé ils attendent / en paix / la prochaine guerre / et ses mises en scène / publiques ». Pourtant, dans le champ du réel, « ça pue » ; vous en doutiez ?
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rarement je fréquente les librairies et pourtant, en passant , ce petit livre a noyé ma pupille, les premiers mots aspiré, mon âme est éblouie, je ne le quitte plus.