[News] Libr-fêtes (2)

janvier 1, 2024
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[News] Libr-fêtes (2)

Et si l’on mettait à profit ce hors-temps que constitue le passage à l’An nouveau pour goûter certains livres – plus ou moins récents – qu’on n’a pu encore découvrir ou qui viennent de / vont paraître… Après la UNE de Claude Minière !

 

UNE /Claude Minière/

L’Humanité règne à Gaza et Jérusalem

Voyez, voilà où Elle en est

Elle règne par la force, la destruction

La marche du progrès vers l’anéantissement

Ce sont les plus malins les plus aimés

 

Libr-Livres reçus

Jean-François BORY et Jacques DONGUY, Kitasono Katué 1902-1978, A.D.L.M.N. / Les Presses du réel, en librairie début 2024, 320 pages, 24 €.

Tarik HAMDAN, Exercices d’apprentissage, traduit de l’arabe par Antoine Jockey, Lanskine, été 2023, 88 pages, 15 €.

Kadhem KHANJAR, Nous nous battons pour le plaisir, traduit de l’arabe (Irak) par Antoine Jockey, Lanskine, décembre 2023, 96 pages, 16 €.

Élisabeth MORCELLET, Vivre jusqu’au futur, éditions Douro, coll. « Présences d’écriture », en librairie fin janvier 2024, 240 pages, 20 €.

Arnaud TALHOUARN, Avant-guerre, Décharge (Auxerre) / Gros Textes (Châteauroux-les-Alpes), coll. « Polder », automne 2023, 54 pages, 7 €.

Judith WIART, Pas d’équerre, éditions Louise Bottu, décembre 2023, 136 pages, 14 €.

 

Libr-retour sur trois livres de 2023 /Fabrice Thumerel/

► Sereine BERLOTTIER, Avec Kafka, cœur intranquille, éditions Nous, coll. « Disparate », 2023, 144 pages, 16 €.

Les médecins : nous détestons leur froideur, leur maladresse parfois,
leurs protocoles. Nous voudrions d’une parole qui arrache celle que nous aimons
à la masse des statistiques, des études, des probabilités » (p. 92).

Depuis qu’en 1982 est apparu en France ce néologisme qui n’en est pas vraiment un puisqu’on trouve ce terme sous la plume de Michaux, tout ou presque est devenu « intranquille ». C’est oublier la subtilité de ce néologisme portugais de Pessoa qui ne ressortit totalement ni au prosaïsme ni à la métaphysique, mais exprime à la fois un être-au-monde douloureux et une inextinguible énergie.

Dans ce livre, non pas sur mais avec Kafka, il s’agit d’avoir le « cœur intranquille » avec cet être tourmenté, à savoir d’ « expérimenter ni le calme ni l’agitation » (p. 24). Avec Kafka, la narratrice se plonge dans un labyrinthe aux 196 bifurcations, arpente le dédale de ses souvenirs comme des écrits kafkaïens : « Et j’avance, escortée par K. vers ces chambres où j’eus moi aussi à apprendre quelque chose au sujet de la peur, dont je ne me souviens pas, mais qui a fait de moi quelqu’un d’autre » (19). Pourquoi un tel accompagnement afin d’affronter la mort d’une mère ? À des fins consolatrices ou parce que l’intranquillité de Pessoa présuppose que la vie n’a de sens que par et pour l’art ?

Avancer avec Kafka dans un texte fragmenté comme un corps malade (« Il n’y aura pas de récit mais y renoncer est-ce te perdre encore ? » – p. 58), c’est faire face au vide et à l’angoisse propres à l’humaine condition : « Comment écrire que nous avons basculé dans la terreur ? » (101). C’est se familiariser avec un univers animé de tensions entre parole et silence, continu et discontinu, vide et plein, sens et non-sens, calme et agitation, vie et mort…

 

► Liliane GIRAUDON, Une femme morte n’écrit pas, Les Presses du réel / Al dante, mai 2023, 80 pages, 17 €.

Ordre et désordre (« l’ordre du désordre », p. 20)… Dans la lignée de Polyphonie Penthésilée, le montage rythmé fait se télescoper des blocs autobiographiques et des blocs socioculturels, qui constituent des précipités de poésie visuelle. Avec ceci en plus : « mes dessins / produits dérivés de mon écriture / un art de l’espace » (71). Avec sa « langue de truanderie » (32), elle s’attaque à la « poésie sédation » comme à l’ « anticonformisme conforme » (27), au triomphe « partout autour de nous / de la charognerie » (71)… Et elle ne craint pas d’appréhender de façon incongrue ce qui pourrait passer pour la spécificité de l’écriture féminine : « saisir les choses de l’esprit / à la manière / dont la verge est saisie / par le vagin » (9).

Si, dans cet « autoportrait de moi » (40), elle poursuit le dialogue avec ses morts, le ton est parfois plus sombre et désabusé, sa propre disparition la taraudant : la mort est présente jusque dans l’écriture (« excavation des tumeurs / comme des poèmes », p. 53 ; « comme le cancer / le poème travaille », p. 60) ; qui plus est, cette « survivante dans la décrépitude de [son] art » (20) évoque son « effacement / au moment où surgissait / une nouvelle génération / d’écrivaines » (40)… Chez cette femme dont le corps est constamment surveillé par les médecins, l’expérience du cancer a irrémédiablement modifié celle de l’écriture : « toutes ces heures passées     à écrire     plutôt qu’à vivre     c’était avant tu ne savais pas     maintenant ta crainte     jusque dans ces lignes     transformer ton état     en simple     produit     culturel poétique & consommable » (45)… Cette crainte, qui s’explique par la fonction consolatrice de l’écriture, demeure infondée tant la « si difficile disparition élocutoire » (66) est assurée par l’approfondissement de son travail mallarméen.

 

 Sandra MOUSSEMPÈS, Fréquence Mulholland, éditions MF, septembre 2023, 136 pages, 15 €.

Pour Sandra Moussempès, le poète se fait spirite : contre les « subconscients plastifiés », son esprit cherche « l’aura de l’ailleurs », à « ouvrir des portes qui donnent sur d’autres portes », à donner « sur une rue surnaturelle » (Colloque des télépathes, éditions de l’Attente, 2012, pp. 27, 23 et 83). Il doit viser la mise en crise des signes/signaux sociaux pour favoriser la mise en scène/voix des fantasmes et fantasmagories. D’où la prédilection affichée pour les atmosphères oniriques du cinéma.

Rien d’étonnant à ce que Sandra Moussempès tire un recueil entier de Mulholland Drive (2001), son film fétiche déjà évoqué dans certains de ses précédents livres, fascinée qu’elle est par la création d’ambiances singulières, les jeux de miroirs autofictifs… la tension entre parole et silence, rêve et réalité, réalité et représentations codées. Nous retrouvons ici Betty et Rita, mais d’un lieu de révélation Silencio est devenu un amant pervers, qui fait son cinéma de séducteur avant d’abandonner brutalement la narratrice : au passage, nous entrevoyons le « chemin de croix érotique » d’une « diagnostiquée hypersensible » qui, souffrant de dépendance affective, s’en remet à « une coach nouvelle génération » (p. 108) dont les injonctions sont tournées en dérision.

Dans un décor hollywoodien, entre autres, elle s’irréalise via ce chef-d’œuvre de David Lynch : dans sa camera obscuraintérieure défilent les figures obsessionnelles qui hantent ses livres (les sorcières Vesta et Lilith… la mauvaise mère… le père admiré…). L’écriture spectrale permet de donner corps à ses fantômes : « Par le biais du biopic fantôme, les voix off et les cris stridents prennent place dans le grain du papier, chaque page recelant sa tessiture divinatoire » (130).

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Fabrice Thumerel

Critique et chercheur international spécialisé dans le contemporain (littérature et sciences humaines).

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