[Chronique] Carole Darricarrère, Esquisses, ambiances, lignes de temps... (à propos de Catherine Weinzaepflen, D'ailleurs)

[Chronique] Carole Darricarrère, Esquisses, ambiances, lignes de temps… (à propos de Catherine Weinzaepflen, D’ailleurs)

septembre 20, 2024
in Category: chronique, livres reçus, UNE
0 538 12
[Chronique] Carole Darricarrère, Esquisses, ambiances, lignes de temps… (à propos de Catherine Weinzaepflen, D’ailleurs)

Catherine WEINZAEPFLEN, D’ailleurs, Lanskine, été 2024, 88 pages, 16 €, ISBN : 978-2-35963-138-8.

 

Pochette surprise restituant le monde dans le désordre, « D’Ailleurs » est un réservoir à régurgitations spontanées propice à de nombreux raccourcis et, la poésie s’apparentant à une science des intervalles aux manifestations aussi aléatoires qu’intempestives, ailleurs – l’un des mots les plus suggestifs du répertoire – a valeur de sésame quand bien même d’ailleurs lui jouerait des tours.

Que celui qui n’a jamais survolé le continent africain de nuit s’engage dans ce livre comme qui fait ses malles dans un trou d’air à multiples entrées ; une partition dans laquelle chaque épisode convoquerait tantôt les échos d’une filature d’étoiles tantôt la mèche d’un feu lointain autour duquel des fronts en goutte se rassembleraient : à la façon de ces drones qui papillonnant haut et large restituent l’insaisissable, nos souvenirs ont l’incomparable faculté de compresser en un clin d’œil panoramique des espaces-temps infranchissables.

Écrire comme revoir, revoir comme mieux voir, s’autorisant goutte à goutte à écrire comme s’abstenir : à l’oreille – « ma propre façon / de me taire » ; comme si chaque lieu par l’esprit revisité dans le recul sensiblement se refusait, solfège de lumière, bouquets secs de tonalités, résidus, sensations & silhouettes confondus, bancs d’algues rocking to & fro à l’épreuve des mots dans la distance aspirant à la vraisemblance, invitant la mobilité à la motilité des jeux de correspondances, rappelant ces parts secrètes de nous-mêmes qui à notre insu ne sont jamais vraiment revenues : mieux voir comme fredonner est une façon de détacher l’air de la chanson.

D’une collection éparse de notes sèches ne cédant jamais à la tendance des mots à magnifier, d’un herbier de trajectoires, infusent des échelles de temps, des arrêts sur image, des incapacités et des madeleines de Proust égrenées à l’essence de la nostalgie & figurant la face la plus intime du voyage : son encens, son aura.

Collant volontiers au plexus tels des points de côté, par ici se livrent et se délivrent les souvenirs mezza voce à la petite cuillère : reste « l’art / pour penser le paysage » soit, in fine, la fonction intranquille des poupées russes du Poème pour penser l’attente, le voyage & la contrainte à rebours de la surface, faisant retour sur la part incontrôlable de frustration qui guette l’ajustement du je à l’autre, les rênes de la volonté & les courants autonomes adverses propres au sixième continent de la mémoire ; accent mis sur « l’entreté » qui se joue des pièces détachées du puzzle et à bas bruit composte, recompose & transpose l’arrière-saveur des lieux et des situations dans une temporalité alternative avec cette insistance malicieuse des reflets invitant les profondeurs ventre à l’air ; ainsi s’atteint en demies-teintes et comme par inadvertance la tessiture du réel – à la faveur d’un manque-par-addition de définition.

À l’opposé des cartes postales attendues et des photographies mensongères, le charme discret désarmant d’un certain regard : des photopoèmes à la facture farinée comme autant d’instantanés figés à la volée on notera le grain silencieux dénué d’artifice à l’image du style, soit autant de pincements au cœur et de points d’exclamation muets, apnées minérales du journal des jours d’un ailleurs déconfiné dont les contrastes chromatiques étincelants auraient été passés au tamis des trous de mémoire : cendres durent d’émotions anciennes si insolées qu’elles en deviennent méconnaissables.

Ces images symboliques de l’effet-retard d’un état second témoignant d’une euphorie douce, s’accompagnent d’un discret avertissement, « ne pas confondre image et vision » ; et fécondent telles des apparitions le journal-poème d’un Ceci est…, dans un déjà-plus, ni l’un ni l’autre, au croisement de l’avant et de l’après, …l’expression d’une sensibilité traversante, pointilliste à la manière animale des enfants qui voient mieux peau à peau avec la truffe comme avec la langue en amont des mots.

Un ailleurs – une composition d’ici-&-maintenant plus lointains que jamais –, tout en césures d’écarts de la vue, fausses notes & « feel-back » mettant en perspective l’énigmatique altérité des choses sourçant de nulle part et des relations humaines, « dans le grand éloignement / le mal du monde / est sous la loupe / encore plus / patent », aigre-doux à notre corps défendant : c’est dire la fonction nécessaire du retour et de ses détours.

Si depuis Milton « le paradis est toujours perdu », en miroir le Poème en restitue les ambiances et nous cicatrise, le voyage se versifie et se prolonge ne prenant ainsi jamais fin, fût-ce en chambre ou par procuration.

Le « tout est vif / sur l’île antique / j’ai quitté / le troupeau inerte des villes » cédant la place à des êtres singuliers & des choses authentiquement vraies filmées mot à mot à la manière d’abstractions fixes, perdure en images poreuses relevant des lois simples d’un supplément d’écoute.

Du texte l’épure d’un carnet de voyage au bon parfum de fenouil et, minceur à la ligne, « je suis végétation » ne peut mieux dire par quelle opération soudaine, telles des éponges, nous « sommes au présent / présent aveugle / heureux / dans ce poème » posté si près de loin.

Du mot ou de l’image-mot lequel des deux « endigue » ici l’autre sans jamais l’illustrer, chacun vaquant en communion de silence à sa propre autorité dans une unité de manque sous-jacente, « me disant que / peut-être / [l’image] / laisse une empreinte plus durable » qui, plus elle serait blanche, plus elle s’avèrerait susceptible de « revisite[r] / l’affect » ?

Des images à dire et à lire, la plus solaire d’entre toutes figurant victoire en première de couverture sous le D’A… majuscule du précieux allant de la réciprocité comme de la nuance.

Les mots seuls auront-ils jamais le réel à l’usure ?

, , , , ,
librCritique

Autres articles

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *