[Chronique] Éric Auvray, Tourner la page suivi de Hamlet divague, par Christophe Stolowicki

[Chronique] Éric Auvray, Tourner la page suivi de Hamlet divague, par Christophe Stolowicki

juin 29, 2021
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[Chronique] Éric Auvray, Tourner la page suivi de Hamlet divague, par Christophe Stolowicki

Éric Auvray, Tourner la page, suivi de Hamlet divague, Atelier de l’agneau, « collection 25 », photo de couverture de Nicolas Vermeulin, avril 2021, 90 pages, 17 €, ISBN : 978-2-37428-040-0.

 

Un début prometteur. De toute l’ambivalence masculine, par une dramatisation de bel aloi. Dès les premières lignes coupe le souffle un texte serré, à seule respiration de prosimètre contemporain, sans autre ponctuation que des majuscules – dans ce bloc les trouées de quelques vers, de prose s’entend. Sans temps morts. Cent ans et des poussières de siècles on poursuivrait sur ce tempo si le sujet s’y prêtait.

Quitter son amour. Attendus à un vernissage, s’arrêter sur une aire d’autoroute et lui dire Descends. Car « ça ne mène nulle part cette fusion des corps insatiables Cette passion ne vaut pas la désinvolture de respirer à son rythme de remplir à plein ses poumons ». La silhouette s’amenuise insupportablement tandis que le remords fait feu de tous abois.

« Sur l’A10 même les tournants sont à trajectoires infléchies »

Tester toutes postures. Convoquer ses ancêtres à la place du mort. Mais très vite la langue fourche dans le trivial : « Ce squelette qu’on s’est trimbalé toute sa vie voilà qu’il perce la peau de toutes parts se fait sentir de plus en plus et là il ne s’agit plus trop de rigoler de se donner des vertiges du style tourbillon de renaissance du corps ou on ne sait quoi ». L’inspiration est tombée comme un fruit sec. Il ne reste plus qu’à conclure sur un châtiment d’autoroute qui n’est pas volé.

D’autre portée, d’autre escrime, Hamlet divague. Le chef d’œuvre de la langue anglaise, in cute prise à larges brassées de métaphores philosophes, ce théâtre de la dérobade retournant Les Choéphores et la vengeance d’Oreste comme un gant de fumet, marquant du sceau du génie de Shakespeare un changement d’ère quand malgré tout son talent Racine reste un classique, le tragique ne craignant pas de côtoyer la dérision pour y gagner un tour plus poignant – inspire à Éric Auvray, comédien poète, une  mise en scène à la mesure du rôle, consécration pour tout acteur.

D’emblée est Hamlet assailli avec irrévérence, livré aux « spectateurs de la téléréalité […] amateurs du réel et du rêve », Le Présentateur et La Psy, plus vendeur tu meurs, se partageant ses dépouilles. Un Hamlet contemporain, amoureux d’une mère lubrique autant que de sa fiancée, pas misogyne pour deux sous, dans une France restée celle de Bernanos, de trente-huit (sur quarante) millions de pétainistes.

Oui, Hamlet est là, hasardeusement, impeccablement traduit en contemporain, traître à lui-même, un qui « Traîne ma vie alors que d’autres brouillonnent un poème ». Hamlet dont « L’Oncle biaise se transforme en miteux dans la crainte des coups brandis par Brando […] Pétainiste engoncé dans sa veste chaude de confection allemande il obéit à ce dicton “Pour éliminer un dominant il faut le sacrifier dans son sommeil” […] / Le Collabo tend un piège au Roi dans la geôle Collabo est l’empoisonneur au profil sadien qui glisse le venin dans l’oreille du Roi assoupi il saute le corps de Reine […] Cette vision me déchire le cœur Lambeau de viande pétrin d’épines ». Le Présentateur et La psy se repassent le mistigri du commentaire, entre deux publicités et les infos.

À deux voix, bientôt Hamlet y mêlant la sienne, le récit se poursuit et le bloc s’éclaire, tourne au pur poème, gaîment, outrageusement digressif. « La voix des mers folles occupe l’oreille d’Hamlet. / Qui tombe coupée à ras. / Celle du peintre qui râle à Arles. »

« Le Présentateur / Il sort du cimetière en dansant, Andalouse offrant son corps. // Hamlet / Autrefois j’étais fou des belles Andalouses et je dansais je dansais ».

« À l’heure où l’Écran vole aux yeux de milliards de personnes leurs lueurs à l’heure où Elseneur se meurt », au « coup de sang à l’éviction des fantômes en fonction des quotas », porté par sa verve de faconde en performance muée, Éric Auvray ne barguigne pas à passer du chant du coq Hamlet à l’âne de l’almanach Vermot, la scène est sa trampoline de poète où d’avant-bond en rebond s’enchaînent ses trouvailles de trouvère du trou vermiculaire de souffleur d’où Hamlet lance son célèbre monologue.

L’épisode des comédiens, que Marcel Pagnol voit comme une longueur, une faiblesse coupant le cours de l’action – mise en abyme essentielle, est ici gardé pour le dénouement. « Hamlet voit le spectre faire ses ablutions au puits.[…] Le fantôme déguisé en vieux cabot se mêle à la troupe. […] Ce libidineux réclame justice dans de grandes tirades. Il vocifère devant les comédiens effrayés par ce hurlement de mort à l’hémistiche. »

Le commentaire conclut sur Oreste recouvré. La tragédie d’Hamlet perçue dans son retour de siècles.

La photographie de couverture de Nicolas Vermeulin, captant et stylisant contre ses parois de néant embuées le liquide d’un verre que l’on vide – dit bien celui-ci, déjà vide, presque plein.

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