[Chronique] Écrit critique chik & chok, par Jean-Yves Samacher (à propos de Lambert Castellani, Grabide

[Chronique] Écrit critique chik & chok, par Jean-Yves Samacher (à propos de Lambert Castellani, Grabide

janvier 13, 2025
in Category: chronique, livres reçus, UNE
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[Chronique] Écrit critique chik & chok, par Jean-Yves Samacher (à propos de Lambert Castellani, Grabide

Lambert CASTELLANI, Grabide, Atelier de l’Agneau, coll. « Architextes », automne 2024, 96 pages, 18 €.

 

Grabide : Gag gargantuesque, farce pantagruélique, sous égide grabinoulorienne, bombe fragmentaire poétique et langagière chargée à la TXT[1], fertile coup de semonce dans la foire politico-médiatique contemporaine et la poésie imbue d’elle-même.

Ou comment mobiliser ses boyaux et ses abats contre la mièvrerie, le narcissisme et la bassesse d’un monde hypocrite d’indivildus repus qui partagent pus. Face aux formules pschittacistes et autres zélés aimants de langage lénifiants (sans plus aucun tangage), dégoulinants des hauts dégradés bardés de médaï, bienvenu à ce nouveau lancer d’obus d’un Fils d’Ubu visant à tout faiRe péteR de l’intéRieuR (oreï, cervO et biculOOs comme 1test1) !

« grabide : na mare du Génral Génreux du bi1séan du bi1veillan du bi1seyant du tjs miE qui dipu ni wi ni nan ni mer2 mêmepa 2 tenzanten kipose pud question dpeur pudeur kréponse soi padbon ton 2 peu ksa monte le ton ou ksa prenne le temp ou la têt ou dé proporsion » (p. 13).

Ce qui donne, bien senti et réparti sur la page, en pseudo-essèmesse de kermesse :

« IFODIR

MER2 » (p. 16).

Car là où ça sent trop l’propre, comme dirait l’aut’, ça sent l’oppression et l’apensée lobotomisée, robotisée, scotomisée. Encéphalo plat. Mort (du gras) bide.

Alors qu’ là où ça sent la « mer2 », ça sent lettres et grand repas de blanquet’ pour l’ cœur avide et l’intellek : Artaud, Michaux, Albert-Birot, Verheggen, Guyotat &cetera. Y a matière à chocolat ! Pansement scato contre pensée scoto. Sus aux démagos !

« La marmelade plein la marmite qui palpite c du vivant pas du pensant c la panse pansement ça fait du bien par où que ça passe les aliments ça remet d’aplomb c pas régime qui faut c de la chère pour tout un régiment : en avant Guingamp » (p. 39).

Grabide : Logo-machine qui revivifie une réalité décharnée par la resucée de la société du spectaculot, rouleau-compresseur qui cherche à remettre des couleurs de carn’ vale, de la sambarbak et du « saleça » (p. 45) là où ça ne pense plus qu’à boire et consommer du ptit lait comme animal bêta à baba gaga.

Grabide : fè pas dans la dentel ni dans l’ détaï. Pa2 quartiÉ ! Fô virer les « pœdèmes », œdipiens de surface qui s’complaisent ke dans l’miroir d’œufs mêmes et se prélassent dans leurs flatulences flasques. « grabide : pense ke kikecri kan pa deborde fèque pœdème ki cré 0 désordr kissera ri1 ka mêmpa mordr » (p. 15) Choisir escarres contre œdèmes pour ranimer l’ souffle d’Arto ou l’esprit d’à-Dada…

Grabide : combat épique, pied-de-nez au pot lytique, mais aussi parcours critique, aux accents lyre-hic voire tragicles, exposant aux déboires du senti mental. Car chiarité bien charcutée commence par son totem. Pas facile de trouver une issue au déjà-ouïs, déjà-dit, déjà-vu, déjà-tout-bu. Au prémâché précuit : « kikvo kon dise kadjapaenco été di pi fé pi mieu ? » (p. 66). Ce qui se traduit encore, à la sauce Cummings ou en Mallarmé de cuisine, par :

« qu’ouïr                          en

core

qu’hier                                               déjà

n’était   re     cuit ? » (p. 67)

Heureusement, le poète s’entête dans sa quête d’une « voix-de-l’écrit » (Prigent) pour tenter d’en finir avec la Voix de son Maître (comme dirait J.-P. Bobillot). Quitte à flirter avec l’illisibilité d’un langage désarticulé, consonantique, mimant les mouvements contradictoires, les courants digestifs et abouliques propres à la société d’Konsomm’ : « […] pugvidr vidr vidr purg trr trr […] toujou enco rmplr rmplr cmblr rmplr rmplr cmblrrmplr […] » (p. 45) jusqu’à se disloquer intégralement. L’auteur et son double ne craignant pas de montrer failles et ratages, dans l’infini effort d’un renouvellement du langage qui se solde parfois par un pathétique « IARRIVPA ! » (p. 63).

Mais pour atteindre son but, quoi de plus hardi, quoi de plus ludique que de faire tomber les têtes dans un chamboule-tout de foire ? Entre deux Xplositions télévisuelles, Grabide nous invite et nous entraîne du « Festival du vent », parodie de fête de la Po&Zi, à la « fosse commune », où l’on meurt de rire sans demander son reste. Comme le précisait peu ou prou Montaigne en son temps, on a beau être assis sur un trône, on ne repose toujours que sur son séant.

Ainsi, de satire politique en satire sociale, du café Procope aux bas-fonds, d’apocope en condensation, le poète s’amuse des Muses et de notre « abruptissement » volontaire, pourvu qu’ça jouisse dans l’ bô langage au modeste prix… Car oui, y a d’ l’esprit dans la lettre ! Et d’ la chair aussi ! C’est par l’ébat qu’ça parle… et les abattis ! Au fond, l’hommelette – comme l’homme lettron, ce laideron – ne serait-il que le fruit chu d’une étoile de la nue (*)[2] ?

Joie du poème qui, échappant à l’idéalisation, donne son sens et sa portée à l’objet « petit tas » (calembour made in Lacan) : Fô qu’ ça sue, fô qu’ ça pue, sinon t’es foutu ! Du Gervaise ? J’en veux ! Bien d’autres surprises émaillent ce texte expérimental, comique, jouissif, au genre inclassable. Et c’est si bon qu’à la fin on en r’2man2.

Qui veut du rab’ de Grab’ ?

 

[1] L’auteur fait partie des co-animateurs de la revue TXT, nouvelle version, relancée en 2018.

[2] Nous ne déflorerons pas plus ce symbole mystérieux qui ponctue les différents chapitres, l’auteur révélant lui-même sa teneur dans les dernières pages.

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librCritique

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