Après un « Pleins feux » sur Christian Prigent, qui fête ses 80 ans avec un nouveau tome de son Journal et un Jubilé à la Maison de la poésie de Paris, deux nouveaux livres encore reçus pour cette rentrée et de nouvelles aventures d’Ovaine (Tristan Felix).
Pleins feux sur Christian PRIGENT
À l’occasion du jour de son 80e anniversaire, un hommage sera rendu à Christian Prigent, né à St Brieuc le 12 septembre 1945.
Son œuvre poétique, littéraire et critique mais aussi ses performances orales et ses interventions publiques ont profondément marqué sa génération et les suivantes, sans doute encore plus celles à venir. C’est pourquoi près d’une quarantaine d‘artistes (poètes, écrivains, comédiens, cinéastes, personnalités du monde de l’art, proches, amis, amis à demi et ennemis idem) lui rendront hommage en lisant de très courts extraits de son œuvre dans une soirée qui sera également une fête et un événement hilare, grave et sportif.
► Christian PRIGENT, Zapp & zipp, P.O.L, septembre 2025, 730 pages, 29 €.
Présentation éditoriale. Zapp & zipp est un journal tenu de 2019 à 2024. Il fait suite à Point d’appui (2012-2018) publié en 2019. Tenir un « journal » quotidien, c’est zapper d’un sujet à l’autre sans s’interdire de zipper les sujets entre eux. On trouve des anecdotes (parfois polémiques) sur la vie des lettres, l’évocation de rencontres
déterminantes (Jean-Marie Straub, Jean-Pierre Léaud, François Tanguy…), quelques aperçus sur le quotidien. Moins un journal intime qu’une suite de réflexions, commentaires, sur des faits sociopolitiques, des livres, des œuvres d’art. La manie propre à l’auteur le contraint à quasiment tout relier à un souci central : la poésie. Le journal en traite parfois de manière frontale : d’où vient la poésie ? Quelle nécessité soutient l’étrangeté de ses langues ? De quoi nous parle-t-elle ? Dans quel but ? Dans quel rapport à la socialité, à la vie civique, aux enjeux politiques ? Que faisaient de ces questions Virgile, Hölderlin, Mallarmé ou Pound ? Qu’en font aujourd’hui des Charles Pennequin ou des Bruno Fern ? Comment déchiffrer un poème de Rimbaud, de Jarry, d’Apollinaire, de Ponge ? Comment comprendre les querelles qui agitent le monde des poètes d’aujourd’hui ? Le souci du « poétique » s’étend à la peinture, au cinéma, au sport, au mœurs, et à des textes a priori non directement « poétiques » (Faulkner, Proust, Saint-Simon, Racine, Jünger, Beckett…). Quelques poèmes jalonnent les pages de Zapp & Zipp. Leur présence rappelle qu’un tel « journal » n’a d’autre raison d’être que de tenter de mieux comprendre pourquoi on peut persister à écrire de la poésie, envers et contre toute rationalité pragmatique et hors de toute sollicitation d’époque.
Premières impressions LC. Cette somme impressionnante fait du poète reconnu – pour qui « la poésie ne peut pas ne pas être « politique » » (p. 110) – l’un des meilleurs observateurs de notre monde littéraire et socio-culturel. Retenons, entre autres, ses réflexions sur le « peuple », quelques œuvres modernes majeurs (de Rabelais et Rimbaud à Guyotat, Verheggen, Novarina et Surya), le nouveau TXT, quelques peintres anciens et modernes… bref, « la vie civique », « la vie des lettres », « la vie pensive », et même « la vie onirique »… On notera une tonalité plus mélancolique que dans le précédent volume : « Les spectres passent, violemment vivants, à travers ce que le temps a ravagé de la texture même de l’image (pâlie, écaillée) » (245). /FT/
Libr-livres reçus /Fabrice Thumerel/
► Christophe MANON, Élégies mineures, éditions NOUS, coll. « Disparate », en librairie depuis le 22 août 2025, 134 pages, 16 €.
Présentation sur Electre. Christophe Manon a été accueilli en résidence avec La Marelle à l’automne 2022 pour son projet Élégies mineures. Des élégies qui disent l’urgence du souvenir afin de conjurer l’apparente normalité du temps qui passe. Elles chantent ce qui est révolu mais aussi ce qui va advenir, dans un rythme souple et irrégulier.
Premières impressions LC. Hanté par « toutes les voix du passé » (p. 125), Christophe Manon écrit sur le mode mineur. Ces évocations sont à lire au miroir de Signes des temps, dont elles partagent la puissance suggestive, la ritournelle mélancolique, mais sans la volonté de faire revivre tout un monde passé.
► Martine ROFFINELLA, Petites morts à péage, éditions Tinbad, coll. « Fiction », à paraître le 11 septembre 2025, 92 pages, 13 €.
Présentation éditoriale. « Quand j’ai vu arriver ce type au péage d’A., je lui ai tout de suite trouvé une tête d’anus », commente l’un des protagonistes de ce corrosif recueil de nouvelles, qui se déroulent toutes – en un point de chute pour le moins désopilant – au péage de la bonne ville d’A. Un ensemble d’hommes à peine caricaturés viennent en quelque sorte y mesurer leur puissance sexuelle, puisque tout continue de se jouer en dessous de la ceinture et se résume à : « Mon popaul qui se raidit, c’est parole d’Évangile. » Sauf que pour chacun de ces hommes pétris [sic] de certitudes, tout se met subtilement à dérailler, un peu comme si le péage d’A. incarnait le moment de régler l’addition de leur suffisance prédatrice.

Premières impressions LC. En ces temps réactionnaires de virilisme, où « la guerre des bites fait rage » (p. 14), c’est un joyeux jeu de massacre que nous propose Martine Roffinella. Ses cibles ? Des beaufs qui ne voient pas plus loin que leur queue… Ce petit théâtre social se déroule en huit temps, plus ou moins réussis : « God Save the Queen », « Les bœufs de Panurge », « Le nain avec un magnétophone », « Cogito ergo sum », « J’ai un ticket », « Trois petites cochons », « Quel pied ! », « Petite mort à péage ».
Nouvelles aventures d’Ovaine /Tristan Felix/
– Un orage pressé, siouplé, avec des grêlons.
Le taulier étonné, atermoie, éternue puis demande :
– Avec éclair ou sans éclair ?
Ovaine le foudroie dans les yeux. Le courant passe.
Electrisé, il implore Zeus d’exaucer la commande.
Ruisselant de jalousie, le loup grêle court-circuite le texte à coups de gomme.
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Ovaine dépose une roquette auprès du tribunal pour en finir avec la fin.
Depuis sa grêlitude son pote loup dirige sa trajectoire au doigt et à l’œil.
– Mais c’est quoi cette salade ? que lui aboie le juge en la menaçant de sa fourchette en or. On va t’assaisonner ! Gardes !
– Bah, c’est de la poudre aux yeux pour te dégager l’horizon, qu’elle lui reculotte.
D’un coup de patte à longue portée, lupus grêlitus dévie Ovaine de sa digression.
La roquette hélas fait long feu et la fin n’est pas près de ne pas finir.