2 — Gueuss va au cinéma

Bianca Saldine / Eau de savon II / Aquarelle numérique / Coll. Marcel Navas
Ça secouait dans la cagna. Bombes et fumées. Les G.I. vociféraient. Bouh, têtes de chas ! Tergal d’attaque ! Nylon B ! Élasto-mémère ! Mais ce n’était qu’un film, une parodie de guerre, avec des guignols français mal sous-titrés. Ces bleus-nazes tiraient dans les coins, non stop. Ça s’effondrait ici et là : patatras ! Tôles pliées, poutres en feu et poussières. Sur ce boum ! Et les idiots à la gueulade redoublaient de traits intraduisibles : Tricote-foin ! Slip-serpillière ! Vieux chintz OAB ! Dépose-ruflette ! Torchon à jouir ! Etc. : de pire en pire. On peine à croire que des soldats américains en action aient un langage si peu ordurier, mais admettons. Cela dit, quand le sous-titrage de scènes chocs, où fusent cris et jurons, est à ce point approximatif, il y a désinvolture : le compte sémantique n’y est pas, c’est du vol ! Forcément le cinéphile pur/dur, ce travail bâclé le jette en transe. Et voilà l’esclandre : Gueuss, excédé, soudain se dresse dans le noir et se met à hurler son soûl. Gant d’sommeil ! Tétine de Frédo Garcia ! Tous les gars s’appellent Pattemouille ! T’as que six draps Yves R ! Paul chez Vita ! Serre ton linge chaud ! Et etc. Il balance ce hachis sans reprendre souffle. Ah le pauvre Gueuss, il débloque sévère. La lumière s’étant rallumée, j’essaie de le rasseoir. Trop tard. Des pop-cornistes néo-nazis l’ont pris en grippe : Salaud ! Raca ! Sous-culé ! Toi fermer gueule ! Faute de s’être tu, Gueuss prend des bourre-pifs et, jeté entre deux rangées de fauteuils, se fait gaver de maïs comme une foutue poule. Ça barde long. Enfin : la police arrive. Gueuss est sorti sur une civière. Il saigne, râle, et rend des gerbes de pop-corns.